332 HISTOIRE DE VENISE. goût, si quelque heureux enchanteur savait faire' oublier ce défaut radical par le charme de l’exécution. Ce fut ce qui arriva : le Tasse donna VAminte, pièce dont le style, suivant les connaisseurs, approche de la perfection ; et le succès extraordinaire de cet ouvrage dut lui faire d’autant plus d’imitateurs, que l’invention d’une fable pastorale était tout autrement facile que celle d’une action tragique. Plusieurs Vénitiens se hâtèrent de s’essayer dans ce nouveau genre. Louis Grotto, Alvise I’asqualigo, François Contarini, ne surent imiter ni la fable simple, ni surtout le style du Tasse. Un autre poëte imagina de faire servir la naïve pastorale à la flatterie, et celle qu’il publia sous le titre d'Acis ne fut qu’une allégorie, Solto il velo délia quale si lodava la serenissima repubblica di Venezia; car, de peur qu’on ne s’y méprit, l’auteur avait pris la peine d’en avertir dans le titre même de son ouvrage. Une comédienne, Isabelle Andreini, de I’adoue, déjà célèbre par diverses poésies, s’éleva dans la pastorale au dessus de la timidité de ce genre ; mais cette innovation, qui lui attira de grands applaudissements, lui a été reprochée par des connaisseurs, dont le goût n’approuvait pas que le style lyrique se lût introduit dans la pastorale. Ni l'OEdipe, ni l’Aminle, ne pouvaient être des spectacles populaires; il fallait au peuple des plaisirs moins nobles cl des sentiments moins délicats. Les Iroupes ambulantes de comédiens jouaient, sous le masque, des scènes détachées, ou des canevas de pièces satiriques, dont le comique consistait dans une imitation grotesque de la nature, dans le ridicule de quelques personnages de convention, et surtout dans un dialogue licencieux. Quelques-unes de ces caricatures devaient avoir un fond de vérité ou d’originalité assez piquant, puisqu’elles sont venues jusqu’à nous. L’Arlequin de Bergame et le Pantalon de Venise sont en possession des tréteaux depuis plusieurs siècles. La comédie commença, chez les Italiens, comme la tragédie, par l’imitation de quelques pièces anciennes. Les Mencchmes et VAmphitryon de Plaute occupaient la scène à la fin du \\e siècle. Ricco-boni cite une traduction de l’Asinaria de Plaute, qui fut imprimée en 1528, et qui auparavant avait été représentée à Venise, dans le couvent de Saint-Etienne. Dès le commencement du siècle suivant, toutes les comédies de Térence Curent traduites en vers par le Candiote Jean Jusliniani. Voilà la troisième fois que le nom do celte illustre famille se retrouve dans les annales de l’art dramatique. Ce furent Machiavel et l’Arioste qui ouvrirent la carrière aux sujets d’invéntion. Immédiatement après ces grands hommes, Louis Dolce, Ange Beolco, se distinguèrent par une peinture naïve des mœurs rustiques. Nicolas Secchi, de Brescia; André Calmo, Vénitien; Jean-François Lorédan ; Jean-Baptisle Calde-rari, de Vicence, préparèrent les voies à ce Goldoni qui devait enrichir la scène comique, non-seulement à Venise, mais encore à Paris. Ce n’est point ici le lieu d’apprécier le théâtre italien, ni de le comparer à celui de notre nation, il suffit de faire observer que l’art dramatique a eu deux belles époques en Italie, le milieu du xvi0 siècle et la lin du xvme. Les Vénitiens ont fourni à la première le Trissino, le Tasse, le Ruzzanle;à la seconde, Scipion Maffei, Aposlolo Zeno, et Gol-doni. Mais entre ces deux époques, il y eut un intervalle de près de deux siècles, dans lequel la comédie libre, non écrite, et jouée sur de simples canevas, par des acteurs masqués, fit rétrograder l’art vers son enfance ; et il faut avouer que les Vénitiens montrèrent pour ce spectacle grossier un attachement qui alla jusqu’à la fureur. Après les auteurs épiques et dramatiques, il serait injuste d’oublier, dans la poésie didactique, Erasme Valvasone, auteur d’un joli poëme delà chasse ; dans la satire, Antoine Vinciguerra, et Jean Mauro, l’un grave, l’aulre burlesque; dans le genre lyrique, Bembo, trop servile imitateur de Pétrarque; deux femmes illustres, Véronique Gambarra et Gaspara Stampa ; enfin, François Algarotti, célébré par Voltaire; Marlinengo, le traducteur de Milton; les Pindemonli et Cesarotli, qui, dans le dernier siècle, ont soutenu la gloire de la langue el de la poésie italienne. IX. Les succès des Vénitiens dans les arts ne sont pas attestés par des noms moins illustres. Il parait que ce fut à Venise que la tragédie el la comédie lyrique prirent naissance, ou du moins qu’eurent lieu les premières représentations qui en décidèrent le succès. Ce fut Venise qui, dès le xrv° siècle, peu de temps après que Pétrarque eut été couronné au Capitole, décerna les honneurs d’un triomphe au musicien le plus célèbre alors de l’Italie; et ce fut par les mains du roi de Chypre, qui se trouvait dans cette capitale, que le laurier fut posé sur le front de François Landini, poëte, philosophe, astronome et aveugle, mais surtout habile compositeur : il était de Florence. C’est aux Vénitiens qu’on est redevable de l’art de fabriquer les orgues : ils l’apportèrent de l’O-rient. Enfin, quoique leur capitale n’ail peul-êlre pas à citer un aussi grand nombre de compositeurs célèbres que Rome cl Naplcs, elle peul cependant se