106 HISTOIRE DE VENISE. « de cc mois. » Est-cc dans ces termes que le correspondant aurait dit rapporter l’arrestation, si elle eut été faite au mépris du droit d’asile appartenant à l’ambassadeur de France, si, en l’absence de cet ambassadeur, on eût violé son palais? De deux choses l’une ; ou Renault était un conspirateur, ou il ne l’était pas : s’il était innocent (et l’ambassadeur en avait la certitude), dans ce cas il lui devait protection; s’il était coupable, ce ministre avait à se disculper d’avoir reçu chez lui un homme suspect, cl d’avoir compromis, par celte imprudence, la dignité de son caractère. 11 n’esl pas possible de se persuader que des arrestations aient été faites chez un ambassadeur, qui n’en rend pas compte à sa cour ; et comment la procédure, si elle était réellement une pièce officielle, pourrait-elle contenir une erreur aussi grave? XXV11. On voit que les révélations arrivaient coup sur coup : les arrestations étaient déjà très-nombreuses, et avec elles commencèrent les interrogatoires. Renault déclara ne point connaître le duc d’Os-sone, n’avoir jamais eu aucunes liaisons particulières avec l’ambassadeur d’Espagne. On lui exhiba des pièces trouvées, disait-on, chez lui ; il refusa de les reconnaître, nia qu’elles fussent de sa main, et offrit de fournir sur-le-champ une pièce de comparaison. Cette pièce de comparaison ne devait pas être nécessaire aux juges : il y avait près d’un an qu’ils recevaient, de la main de cet homme, maintenant accusé devant eux, comme chef de la conspiration, des avis qui en révélaient l’existence et tous les détails. Les interrogatoires se renouvelèrent pendant plusieurs jours. Renault, pressé de questions, confronté avec d’autres accusés, mis sept fois à la torture, demeura inébranlable dans ses dénégations : les tourments n’arrachèrent de lui que des imprécations contre ses juges, qu’il traitait d’assassins, qui avaient supposé des pièces, pour torturer un pauvre vieillard étranger et innocent. On eut beau lui annoncer qu’il serait appliqué tous les jours à la question, jusqu’à ce qu’il eût avoué la vérité :«on eut beau lui promettre sa li-bertéi sa grâce, s’il dévoilait toute la conjuration; il n’y eut aucun moyen de triompher de sa fermeté. On finit par désespérer de lui arracher aucun aveu, et on se détermina à lui arracher la vie, en le faisant étrangler dans sa prison, après quoi il fut exposé au gibet, pendu par un pied; c’était le supplice des traîtres. Tel fut le sort du principal accusé : la procédure atteste qu’il persista, jusqu’au dernier moment, à protester de son innocence. Renault pouvait invoquer les preuves qu’il en avait données, en rédigeant, en écrivant de sa main tous les avis que Jacques Pierre faisait parvenir au gouvernement, depuis dix mois. Il est impossible que ce moyen de défense ne se soit pas présenté à l’esprit de l’accusé : la procédure ne fait pas la moindre mention de cet argument, et une telle omission ne peut que la rendre suspecte. Cette procédure ne contient pas, à beaucoup près, l’interrogatoire, ni même les noms de tous les autres prévenus. Elle ne rapporte avec quelques détails, que les déclarations suivantes. Un capitaine, Laurent Bruslart, qui avait été arrêté comme compagnon de Renault, déclara, sur la promesse qu’on lui lit de lui accorder sa grâce, qu’il y avait à Venise un grand nombre de Français admis depuis peu au service de Saint-Marc, par le crédit du capitaine Jacques Pierre; que ce capitaine entretenait des intelligences avec le vice-roi de Naples et l’ambassadeur d’Espagne; qu’enfin il méditait, ainsi que Renault, la perte de la république, et qu’ils en avaient conféré plusieurs fois ehez l’ambassadeur de France. Selon lui, cette animosité des Français contre les Vénitiens venait de ce que le roi avait appris que le baile de Venise à Constantinople avait découvert au grand-visir des projets concertés entre la France et l’Espagne contre l’empire ottoman, ce qui avait exposé les Français au ressentiment des Turcs. Le roi, disait-il, avait témoigné qu’il verrait avec plaisir qu’on tirât vengeance de ce mauvais office. Les Vénitiens devaient sans doute savoir à quoi s’en tenir sur la possibilité de cette ligue entre l’Espagne et la France contre l’empire turc. Ils savaient si Philippe III, qui venait d’expulser les descendants des Juifs et des Maures, et Louis XIII, à peine sorti de sa minorité, cherchant à se soustraire à l’autorité de sa mère, pour retomber sous la domination d’un favori, étaient en état d’entreprendre une guerre d’outre-mer. Le déposant ajoutait qu’il ne savait pas positivement en quoi consistait l’entreprise projetée, mais que Renault devait se rendre à Marseille, pour s'y embarquer sur une Qotte française, destinée à venir attaquer les possessions de la république dans le Levant. Les Vénitiens, qui étaient instruits des négociations entamées entre le duc d’Ossone et la cour de France, pouvaient s’expliquer la véritable destination de cette flotte de Marseille, si en effet elle existait. « On discuta fort longuement, cc sont les termes de la procédure, si on devait conserver la vie au capitaine Bruslart; mais, par beaucoup de considérations, et par vue suite du parti qu'on avait pus