LIVRE XXX. 79 le Lisonzo, qui coule entre les deux États. Cette précaution était urgente, car une armée de douze mille hommes vint mettre le siège devant la seconde de ces places. On était alors au mois de février 1616. De part et d’autre on essaya assez infructueusement les sorties et les assauts. Les Vénitiens, après avoir longtemps canonné la ville, parvinrent, à l'aide de la mine, à ouvrir une brèche praticable; mais, dit l’observateur contemporain (1), la lâcheté et la bonhomie de leurs soldats, que les prières, l’autorité, les menaces et les coups de leurs capitaines ,ne purent jamais déterminer à tenter l’escalade, firent échouer cette entreprise. » Le pape, les Français et les Espagnols voulurent intervenir dans celte affaire, et proposèrent une suspension d’armes. Les Vénitiens consentirent à lever le siège de Gradisca, qui avait duré un mois et demi, et à éloigner un peu leurs troupes de cette place, à condition qu’elle ne pourrait être réparée. Le marquis de Bedemar, dans sa relation sur les affaires de Venise, dit que les Vénitiens S’étaient d’abord refusés à lever le siège de Gradisca ; mais que la place ayant opposé de la résistance, on jugea que les milices étaient incapables de l’emporter, et que l’armée allait se consumer dans ce siège. On se fit un mérite de le lever par condescendance à la demande du pape, dont l’intervention, dans cette affaire, sauvait l’honneur des armes de la république. Quoiqu’il en soit, c’était assurément une très-fausse mesure que de suspendre un siège ; mais la république était alors si près d’avoir la guerre contre le roi d’Espagne, qu’elle crut devoir écarter ce danger par cette complaisance. Elle eut bientôt lieu de s’apercevoir que le puissant médiateur était disposé à en abuser. Les Espagnols proposèrent au gouvernement vénitien de commencer par rendre tout ce qui avait été conquis du territoire de l’archiduc, après quoi celui-ci donnerait satisfaction à la république sur l’affaire des Uscoques. On avait fait trop souvent celte promesse à la république pour qu’elle pût s’y fier, et ce qui devait l’indisposer encore contre cette proposition, c’est qu’elle était faite comme un commandement, et qu’elle passait par l’organe du marquis de Bedemar, ambassadeur d’Espagne, dès longtemps suspect d’inimitié contre les Vénitiens. La cour de Madrid prononçait, d’un ton impérieux, sur les affaires du I'rioul et des Uscoques, comme elle avait prononcé, dans un autre différent, entre les ducs de Savoie et de Mantoue. Aussi la demande fut-elle rejetée. (1) I.ettre de Lion Bruslarl, ambassadeur de France à Venise, dans le journal de son ambassade ; manuscrit de la Bibliothèque du roi, n» 2077-1426. Pendant celte négociation, l’armée autrichienne avait passé le Lisonzo, et il fallait commencer par la battre, pour reprendre les opérations du siège de Gradisca. Le général des Vénitiens était un Génois, nommé Pompée Justiniani, qui avait rendu son nom illustre dans les guerres de Flandre, où il avait perdu un bras. Il était adossé à la forteresse de Palma-Nova, comme TrautmansdorffàcellesdeGorice et de Gradisca. Après avoir tenté audacieusement, mais sans succès, de surprendre le général autrichien dans son camp, après avoir repoussé un corps de troupes allemandes, qui venait par la vallée du haut Taglia-mento, il força l’ennemi à se retirer sous Gorice, et par conséquent à découvrir Gradisca. Il se disposait à tenter le passage du Lisonzo, lorsqu’il fut tué dans une reconnaissance. Les Vénitiens lui firent élever un tombeau et une statue équestre. C’est beaucoup pour ce qu’il avait eu le temps de faire, mais cette république était plus magnifique dans ses récompenses que de plus grands États. Sous le successeur de Justiniani, qui fut Jean de Médicis, fils naturel de Cosme 1er, les Vénitiens couvrirent de petits forts toute la rive droite du Lisonzo; mais la campagne se passa sans événements remarquables. Le Lisonzo séparait les deux armées, et tour à tour chacune faisait avec des succès divers quelques excursions sur la rive opposée. La guerre ravageait en même temps toute la côte orientale de l’Adriatique. En Dalmatie les Vénitiens se présentèrent tout à coup devant la forteresse de Scrissa; c’était un des repaires des pirates. Le commandant de cette place était un de leurs chefs ; il voulut engager les habitants et quelques Allemands qui en formaient la garnison, à se défendre avec vigueur; mais ceux-ci étaient tellement effrayés des menaces des Vénitiens qu’ils se jetèrent sur lui, le massacrèrent, envoyèrent sa tête au général des assié-géants, et ouvrirent leurs portes : la ville fut démolie, et tous lesUscoques qu’on y trouva furent livrés au bourreau. En Istrie on les poursuivait avec la même fureur; et en même temps les sujets de Venise, comme ceux de l’Autriche, voyaient leurs récoltes détruites, leurs villages brûlés ; l’insalubrité de l’air vint ajouter à ces calamités. Plus les Vénitiens éprouvaient de résistance, plus ils se montraient inébranlables dans leurs prétentions sur la souveraineté de l’Adriatique. « Le général de la mer, écrivait l’ambassadeur de France, a fait pendre fort légèrement ces neuf Anglais, dont il y en a trois qui sont gentilshommes | de qualité, et un autre, qui fut despendu, se trouve