2Ü4 HISTOIRE DE VENISE. des échanges de territoire ; ce qui laissait les Vénitiens dans une triste incertitude. Le second et le troisième article portaient une contribution de six millions, dont trois en argent et trois en munitions navales. Le quatrième obligeait les Vénitiens à céder trois vaisseaux de guerre eldeux frégatesarmés et équipés. Le cinquième prescrivait la remise de vingt tableaux et de cinq cents manuscrits. Tous ces articles furent signés le 27 floréal an V (10 mai 1797). Quelque dur que fût ce traité, les Vénitiens furent encore déçus par l’espérance de devoir leur salut à tant de sacrifices. Quand cet ouvrage des plénipotentiaires arriva à Venise, les choses n’étaient plus dans l’état où ils les avaient laissées en parlant. Voici ce qui s’était passé dans celte capitale. X. Le général de l’armée d’Italie, déjà maître de tout le territoire vénitien, attachait une grande importance à la possession du chef-lieu de la république, pour négocier avec plus d’avantage la paix commencée avec les Autrichiens. Dans cette vue, il devait désirer qu’une révolution lui en facilitât l’entrée. Il est vraisemblable qu’avant la signature du traité que je viens de rapporter, il avait manifesté ou laissé pénétrer ce vœu secret à un agent, que son grade ne paraissait pas appeler à manier de si grands intérêts. Le secrétaire de la légation française saisit avidement cette occasion de signaler un zèle qui tenait de la précipitation. Profitant de l’absence de son chef, homme plein de modération, il s’empara delà direction des affaires et des esprits, et se mit à la tête des hommes exaltés, impatients surtout de renverser un ordre de choses, qui jusque-là avait tenu dans la contrainte les passions turbulentes dont ils étaient animés. Dans ce temps d’effervescence, tout se mêlait de politique en Italie. Malgré l’immense supériorité du général en chef, tout ce qui se croyait quelque influence ou seulement quelque capacité, se jetait, même sans son aveu, dans les plus importantes affaires. On abusait de son nom, on feignait un crédit qu’on n’avait pas. Il y avait des gouvernements à détruire, des peuples à soulever, des républiques à organiser; tous ces agitateurs, qui se croyaient des hommes d’État, allaient offrant partout ce qu’ils appelaient leur expérience. Les uns semaient le désordre par cupidité, d’autres par un enthousiasme irréfléchi; la plupart auraient bouleversé le monde par légèreté. 11 n’y avait pas jusqu’aux agents subalternes, dont les lettres n’arrivassent à Venise pour indiquer ce qu’il y avait à faire, et dont les inspirations ne fussent reçues, sinon avec confiance, du moins avec soumission, par ces hommes qui naguère prenaient le litre de sages. Si tôt que les populaires vénitiens se virent ou se crurent appuyés par une autorité étrangère, qui devait infailliblement devenir toute-puissante dans peu de jours, ils commencèrent à prendre un ton plus impérieux avec les patriciens , qui avaient eu la faiblesse de les consulter. Leurs conseils étaient des demandes, et ces demandes paraissaient venir de plus haut. Le 9 avril, deux de ces hommes se présentèrent à la porte du comité assemblé chez le doge, annonçant qu’ils avaient à remettre un papier important. Deux membres de la conférence allèrent leur parler, et rentrèrent tenant à la main un écrit qu’on disait rédigé sous les yeux, sous la dictée du secrétaire de la légation française. On commençait par y établir l’impossibililé d’échapper aux dangers que la prolongation du blocus et la révolte des Escla-vons allaient faire courir à Venise ; il ne restait, disait-on, qu’un moyen de salut, c’était d’aller au devant des intentions du général français, pour se le rendre plus favorable. Les mesures à prendre étaient indiquées dans une note qu’il serait difficile de garantir, car elle n’avait aucun caractère d’authenli-cité, mais qui a été recueillie par un auteur vénitien. Je me borne à la transcrire. Mesures à prendre sur-le-champ. « Arrestation de d’Entragues (le chargé d’affaires du roi de France), avec toutes les précautions nécessaires pour se saisir de ses papiers, en relâchant ensuite sa personne. « Consignation de ses papiers entre les mains du ministre de France, pour être remis au directoire exécutif par le nouveau ministre vénitien qui sera envoyé à Paris. « Elargissement immédiat de quelques individus qui restent encore dans les prisons pour des actes politiques, en leur fournissant quelque argent. ii Ouverture des prisons des plombs et des puits, pour que le peuple puisse les voir. « Promesse à tous les autres détenus, pour quelque délit que ce soit, de la révision de leur procès. « Abolition de la peine de mort. ii Licenciement des Esclavons, en les payant, comme cela est juste. « Remise de la garde de la ville à des patrouilles d’ouvriers de l’arsenal et de marchands, lesquels seront dirigés par un comité provisoire, composé du lieutenant-général Saliinberi, de Morosini, d’Antoine Baratti, et de Pierre Spada, en qualité de secrétaire. » Mesures à préparer aujourd’hui, pour les exécuter demain. « Érection de l’arbre de la liberté sur la place Saint-Marc. « Municipalité provisoire de vingt-quatre Véni-