120 HISTOIRE DE VENISE. murailles (dans des couvents). Apparemment que le marquis de Bedemar ne comptait que la population active. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle tendait à s’accroître; car Soranzo, qui écrivait vers 1G80, assure que, depuis 1630, elle avait augmenté d’un quart. Pendant celte période que nous venons de parcourir, le Irône ducal vaqua plusieurs fois. François Contarini y monta après Antoine Priuli, en 1625. Jean Cornaro, en 1623. Nicolas Contarini, en 1650. François Erizzo, en 1652. Le second de ces doges éprouva, dans son propre fils, combien les lois de la république étaient inflexibles. X. Il existait entre sa maison et celle des Zéno, une de ces inimitiés trop souvent héréditaires en Italie. Renier Zéno, qui se trouvait l’un des trois chefs du conseil des Dix, censurait tout ce que faisait ce doge, tout ce qui lui appartenait, avec une sévérité qui tenait do l’animosilé plus que du patriotisme. Il s’élevait contre quelques faveurs, que, par considération pour ce vieillard, on avait accordées à ses enfants; il l’accusait de tolérer leurs désordres, et le sommait publiquement de les reprimer. Le pape ayant revêtu de la pourpre Frédéric Cornaro, évêque de Bergame, et fils du doge, Zéno s’empressa de s’écrier que la loi, qui interdisait aux enfanls du doge d’accepter aucun bénéfice de la cour de Rome, pendant le règne de leur père, était violée. II exigea qu’on mit en délibération,si on n’obligerait pas le fils, ou même le père, à se démettre de sa dignité. Le crédit de la famille du prince triompha de cette attaque : on allégua des exemples; on établit que la dignité de cardinal ne devait pas être considérée comme un bénéfice: Frédéric Cornaro fut autorisé à accepter le chapeau. Quelque temps après, Zéno revint à la charge; il avança que les enfants du doge n’avaient pas tous le droit d’entrer au sénat, et cette fois il réussit à en laire limiter le nombre à deux; de sorte que le plus jeune des trois fils du doge s’en trouva exclu. Celui-ci, qui se nommait George Cornaro, était surtout l’objet des invectives de Zéno, qu’on pouvait prendre pour une persécution. Irrité contre ce censeur malveillant, qui abusait de l’autorité de sa charge, il l’attendit un soir à la porte du palais, l’assaillit avec l’aide de quelques complices, le frappa de neuf coups de poignard, et prit la fuite. Le lendemain, les vêtements ensanglantés de Renier Zéno et une hache que les meurtriers avaient laissée sur la place, furent portés au palais, en plein jour, à la vue d’un peuple, plus étonné encore de cet attentat, qu’ému de ce spectacle. Le rang et les vertus du père, la vénération qu’il s’était acquise, ne pouvaient absoudre le coupable ; mais on ne se contenta pas de le condamner par contumace, de confisquer ses biens présents et à venir, et d’effacer son nom du livre d’or; on voulut constater l'inflexibilité de la loi par un marbre, qui fut élevé sur le lieu même où le crime avait été commis. George Cornaro se réfugia à Ferrare, où quelque temps après il fut tué dans une rixe fortuite ou suscitée, qu’il eut avec un autre banni. On remarqua que dans la proclamation contre le condamné, la formule ordinaire des actes publics, Le sérénissime prince fait savoir, ne fut point employée. C’était un hommage rendu à la nature. Zéno, qui n’était point mort de ses blessures, crut voir dans cette dérogation à l’usage un ménagement pour la famille de son assassin; et, afin d’exciter l’animosité du peuple, il affecta de prendre de grandes précautions la première fois qu’il reparut en public. Il était arrivé, quelque temps auparavant, qu’un nommé Pantaléon Résitani avait volé dans l’ile de Scio la tète de Saint Isidore, et l’avait confiée à deux marchands vénitiens. Ceux-ci avaient nié le dépôt, et un procès fort scandaleux s’était engagé entre les voleurs. L’un d’eux, pour se tirer d’affaire, avait fait hommage de cette relique à une église de Venise dont Saint Isidore était le patron. On agita si on lui devait une récompense; Renier Zéno soutint que, puisqu’on payait les têtes des proscrits, on pouvait bien payer celle d’un si grand saint, et cet avis prévalut, malgré l’opposition du procurateur Cornaro, qui prétendait que Saint Isidore avait déjà une tête dans sa châsse. Ce fut dans l’église de ce saint, dont il se vantait d’avoir sauvé la tête, que Renier Zéno alla rendre grâce à Dieu du rétablissement de sa santé. Il s’y lit transporter accompagné d’une nombreuse escorte et d’une foule de clients. 11 demanda même au conseil des Dix la permission de se faire suivre à l’avenir d'hommes armés, permission qui lui fut refusée. Cet assassinat avait envenime la haine des deux familles. Celle haine forma deux factions dans Venise. Renier Zéno n’écoula plus que son ressentiment, et menaça tous les partisans de la famille Cornaro. On craignit la guerre civile, et on crul que le conseil des Dix allait devenir l’auxiliaire ou le chef de l’une des factions. XI. Ce tribunal, dès longtemps odieux, avait, quelques années auparavant, encouru l’indignation publique, par une de ces erreurs irréparables auxquelles sont nécessairement exposés les magistrats qui jugent précipitamment, sans publicité et sans formalités. Les encouragements qu'on donnait