LIVRE XXXV. 173 que instant de voir recommencer la guerre. Les in-léréls de la république dans la démarcation des frontières, après la paix de Passarowitz, furent confies à Sébastien Moncenigo, qui s’élait dislingué par d’utiles services dans la guerre précédente. Il eut pendant deux ans à débattre les prétentions des commissaires ottomans, et fut récompensé de son succès dans celte mission, par son élévation au rlogat, à la mort de Jean Cornaro, qui arriva en 1722. Quoique la paix fût rétablie, on voyait la l’orle faire des armements considérables, et l’on avait sujet de s’alarmer, en remarquant qu’elle avait assigné la Morée pour le rendez-vous de toutes les Hottes de l’empire. Les protestations du divan ne suffisaient pas pour rassurer la république, et il est en effet fort douteux qu’elle eût pu s’y fier, si la révolution de la Perse, et la part qu’y prenait le czar Pierre Ier, n’eussent attiré de ce côté les forces de l’empire ottoman. Un accident imprévu faillit rallumer le feu de la guerre, et coûta à la république une douloureuse humiliation. Il se trouvait à Venise un bâtiment de Dulcigno, sous pavillon ottoman. Une rixe s’éleva entre des Esclavonset quelques hommes de l’équipage ; plusieurs Dulcignottes furent tués, et on mit le feu à leur vaisseau. La Porte prit cette affaire avec beaucoup de hauteur, jusqu’à demander une place forte en indemnité. Les Vénitiens disaient que les Dulcignottes étaient des pirates, mais cette raison ne valait rien ; il était évident qu’un navire étranger reçu dans le port, devait y être sous la protection du gouvernement du pays. Après une longue négociation, dans laquelle les ministres turcs prodiguèrent les menaces, la république se soumit à relâcher deux cents esclaves turcs, et à payer une indemnité de douze mille piastres. Les craintes toujours renaissantes qu’inspiraient les armements de la Porte, déterminèrent le gouvernement de Venise à faire fortifier les iles de la nier Ionienne, c’est-à-dire Cérigo, Zante, Cépha-lonie, Sainte-Maure et Corfou, et à garder à sa solde le maréchal de Schullembourg, dont le nom imposait aux Turcs : ce fut lui qui traça les nouveaux ouvrages autour de ces places. La dépense en était considérable. On y pourvut en partie par un emprunt de trois cent mille ducats, et par un décret qui permit aux Juifs étrangers ou sujets de s’établir à Venise, en payant une taxe. Cette fois, la république dérogea à ses anciennes maximes, en permettant aux étrangers de placer leurs capitaux dans ses emprunts. VI. En 1724, le roi d’Espagne, Philippe V, irrité contre la France, à cause du renvoi de l’infante, dont le mariage avec Louis XV avait été arrêté, chercha à se rapprocher de l’empereur Charles VI. Ils se reconnurent réciproquement dans leurs qua’ iités d’empereur d’Allemagne et de roi d’Espagne, et s’accordèrent sur les affaires d’Italie. Les couronnes de Toscane et de Parme, qui allaient se trouver vacantes, parla mort prochaine du grand-duc Jean-Gaston de Médicis, et d’Antoine Farnèse, qui ne laissaient point d’héritiers mâles, furent assurées à don Carlos, fils du second lit du roi Philippe V. Cet arrangement établissait en Italie deux maisons puissantes, qui ne pouvaient manquer d’y devenir rivales. La maison d’Autriche possédait Naples et Milan, celle d’Espagne allait occuper Parme et la Toscane; mais, dans ce moment, elles étaient d’intelligence, et cette intelligence, fortifiée par un traité d’alliance avec la Russie, parut assez dangereuse aux autres Etats de l’Europe, pour donner naissance à une ligue entre la France, l’Angleterre, la Prusse et la Hollande. Ces deux ligues rivales devaient embraser l’Europe. Venise, quoique sollicitée par l’un et l’autre parti, refusa constamment de se déclarer. Elle éprouva immédiatement après l’inconvénient de ne s’être mise ni dans un état d’hostilité, ni dans des relations d’amitié avec l’Autriche. L’empereur, que scs victoires sur l’empire ottoman avaient mis en droit d’exiger l’admission de ses vaisseaux dans toutes les échelles du Levant, voulut former un établissement de marine à Trieste : cet établissement lui était nécessaire d’ailleurs, pour lier une communication entre ses Etals de Naples ou de Sicile et ses provinces autrichiennes. Les Vénitiens, en augmentant continuellement le tarif de leurs douanes, en soumettant les étrangers à une législation fiscale, vexatoire, et même capricieuse, avaient déterminé l’empereur à affranchir scs sujets de leurs exactions. Plus ils conçurent d’inquiétude et de jalousie, en apprenant qu’on travaillait au port do Trieste, plus ils eurent à se reprocher d’avoir rendu ce port indispensable à leurs voisins. Ils entendaient dire qu’on entourait Trieste de nouvelles fortifications, qu’on y disposait un arsenal, et que bientôt on en verrait sortir des bâtiments de guerre. Dans l’espérance de ralentir ces travaux, ils prohibèrent l’extraction des bois et des pierres de l’Istrie. Ils représentèrent, mais d’une voix timide, que, depuis plusieurs siècles, ils étaient en possession de la souveraineté du golfe, et que le droit résultant de celte souveraineté était d’y naviguer seuls sur des bâtiments armés. La cour de Vienne, sans entrer dans la discussion de ces prétentions, allégua le droit de souveraineté non moins incontestable qu’elle avait sur le porl de Trieste, et en fit dériver, par une conséquence non moins juste, celui de faire dans ce