LIVRE XXXIII. 131 nies, qui élait de réduire son premier magistrat aux honneurs de la représentation, sans lui laisser aucune autorité personnelle. Les suffrages du grand-conseil se réunirent, pour conférer le commandement suprême au doge régnant, François Erizzo. Si son expérience militaire devait inspirer une grande confiance, son âge de quatre-vingts ans pouvait faire douter qu’il se chargeât d’un pareil fardeau. Le scrulin n’était pas encore dépouillé, lorsqu’on s’aperçutdu résultat qu’il allait donner; tous les yeux se tournèrent vers ce vieillard ; on hésitait, par respect, à lui annoncer une semblable mission. Mais lui, d’un air serein, déclara que son cœur se ranimait, en entrevoyant l’espoir de rendre encore quelques services à la patrie, et qu’il était prêt à lui consacrer le reste de ses forces et ses derniers moments. C’était un exemple de dévouement digne des beaux siècles de la république. Le départ du prince allait décider celui d’un grand nombre de patriciens. Probablement, on aurait fait les plus grands efforts, pour assurer le succès d’une expédition que le chef de FÉtat devait conduire. La Providence ne lui réservait pas l’honneur de mourir en combattant pour sa patrie; il succomba à sa vieillesse, pendant qu’on faisait les préparatifs de son embarquement. On lui donna pour successeur le procurateur François Molino, dans le dogal, et Jean Capello, dans la place de capitaine-général. Vlll. La campagne qu’on allait entreprendre avait deux objets principaux; d’empêcher la chute des places que les Vénitiens occupaient encore dans l’île, et de reconquérir la Canée. Pour remplir l’un et l’autre objet, il importait d’intercepter tous les secours que les Turcs pouvaient recevoir. Ils tenaient à peu près tout le plat pays, mais ils n’avaient qu’un port. Dans la vue de les priver de tout secours, le généralissime Jérôme Morosini bloquait la Canée ; et, afin de rester maître de la mer, il avait envoyé Thomas Morosini, son parent, avec une escadre de vingt-quatre galères , pour fermer les Dardanelles (1G46). Dès qu’on apprit à Constantinople que les Vénitiens se présentaient devant le détroit, le sultan ordonna, avec fureur, à son amiral de forcer le passage. Cinquante-cinq galères turques appareillèrent en effet, mais n’osèrent se hasarder à combattre. Il eu coûta la vie au capitan-pacha, qui fut décapité. Le port de Constantinople demeura bloqué jusqu’au printemps; c’était le moment où la présence de l’escadre vénitienne était le plus nécessaire dans tes parages ; elle fut obligée de les quitter. Ses équipages étaient épuisés par une croisière d’hiver; les renforts qu’elle avait demandés n’arrivaient point, et la flotte ottomane était devenue si nombreuse, que Thomas Morosini ne pouvait plus conserver l’espérance de la refouler dans le détroit. II leva sa croisière, et laissa le passage libre aux ennemis. Jean Capello venait de prendre le commandement supérieur de loules les forces vénitiennes à Candie; mais il n’avait ni l’activité, ni la résolution qu’exigeait une mission de cette importante. On vit, pendant cette campagne, les deux flattes à quelques lieues l’une de l’autre, celle des Turcs dans le port de la Canée, celle des Vénitiens dans le port de la Suda, s’observer sans rien entreprendre de décisif. Elles se présentèrent le combat tour-à-tour, et semblèrent s’être donné le mot pour le refuser. Mais pendant cette inaction des forces maritimes, les Turcs resserraient la place de la Suda, commençaient l’investissement de Rettimo, et la peste ravageait les deux armées, les équipages des deux flottes, et toute la partie occidentale de l’île. Le seul événement favorable aux Vénitiens dans celte campagne, fut l’arrivée d’une escadre française de neuf vaisseaux, que le cardinal Mazarin envoya au secours de Candie. Ce fut une singularité remarquable dans cette guerre, que de voir servir comme auxiliaires, dans la même armée, deux escadres, l’une française et l’autre espagnole, quoique ces nations fussent alors ennemies. La république crut reconnaître ce service, en inscrivant le cardinal au nombre de ses patriciens. Depuis que cette qualité était devenue vénale, et accessible à quiconque possédait soixante mille ducats, elle devait peu flatter un premier ministre de France, riche de plus de soixante millions. Ce renfort portait la flotte auxiliaire à trente voiles ; mais il est rare qu’on obtienne de ses alliés une coopération vigoureuse, quand le péril n’est pas commun. Ceux-ci trouvaient toujours des prétextes pour arriver tard, et pour se retirer dans leurs ports aussitôt que la saison de l’hivernage approchait. Cette année se termina encore par un succès pour les troupes ottomanes. Elles emportèrent d’assaut, le 25 novembre 164G, la place de Rettimo. Cette perte indisposa le sénat contre le capitaine-général ; Jean Capello fut rappelé, mis en jugement, condamné à un an de prison, et Baptiste Grimani nommé à sa place. Sous ce nouveau chef la marine vénitienne retrouva son ancienne vigueur. Dès sa première sortie, elle en offrit un exemple mémorable. IX. Grimani croisait dans l’Archipel : un de ses vaisseaux, que commandait Thomas Morosini, fut séparé de la flotte, en poursuivant des Barbares-ques, et jeté, par un coup de vent, à l’entrée de la rade de Négreponl, où la flotte ottomane avait hiverné. Celle flotte avait aussi un nouvel amiral, nommé Mousa. Aussitôt que le capitan-pacha eut aperçu ce vaisseau, il courul sur lui avec tous ceux