HISTOIRE LIE VENISE. égale pour le riche et pour le pauvre. Enfin, une chose qui caractérise encore mieux l’esprit du temps, c’est la conversion du service personnel, que tous les populaires devaient à la marine, en une contribution pécuniaire, et cela dans un moment où l’on manquait de soldats,de chiourmes et de matelots. Accoutumés à calculer le pouvoir de l’argent, les grands et le peuple demandaient à ce dieu de Venise de sauver l’honneur et l’indépendance de la patrie. On ne doit point s’étonner si, dans cette disposition de l’esprit public, le gouvernement conçut la pensée de mettre un terme à cette guerre si dispendieuse, en abandonnant la colonie qui en était le sujet. Déjà plus d’une fois, depuis le commencement des hostilités, on avait tâché, soit par le baile, toujours prisonnier à Constantinople, soit par un agent subalterne qu’on y avait envoyé, soit par l’entremise de l’ambassadeur de France, de sonder les dispositions du divan. Les ministres de la Porte s’étaient montrés inébranlables dans la résolution de retenir Candie. Le conseil du doge hasarda la proposition de la leur céder. Vincent Cussoni se chargea de développer cette proposition devant le sénat. 11 insista principalement sur l’impossibilité de pourvoir aux dépenses qu’exigeait la continuation de la guerre. La dernière campagne avait plus coûté que la guerre de Chypre, qui avait duré trois ans. Il rappela cette maxime, que le succès devant toujours demeurer au plus fort, la prudence exige que l’on calcule scs ressources, sans se faire illusion, et que, si on les reconnaît inférieures à celles de l’ennemi, on se hâte de traiter avant qu’elles ne soient épuisées. « l’eut-« être, dit-il, au moment où je parle, le croissant « est-il arboré sur les débris de Candie. Si elle est « perdue, quel est l’objet de la continuation de la » guerre? Si elle tient encore, profilons de sa résis-ic tance pour traiter avec moins de désavantage. Ce u serait s’aveugler, que d’espérer de triompher dans « une lutte si inégale. Plus nous la prolongerons, « moins nous serons en état d’exiger des Turcs quel-« ques ménagements. Craignons, en achevant de ■i nous épuiser, d’encourager d'autres ennemis, qui « n’attendent peut-être que notre catastrophe pour ii se jeter sur nos dépouilles. » Je ne trouve point, dans cette opinion du rapporteur, une raison que sans doute il ne voulait point avouer, mais qui n’en était pas moins réelle ; c’est que les Vénitiens, habitués aux bénéfices du commerce, regardaient comme la plus grande des privations, l'interruption des expéditions maritimes. Que l’on reporte un instant les yeux sur toute l’histoire de la république, on la verra toujours soutenir, avcc constance, les guerres continentales, et abréger par des sacrifices, quand elle ne le pouvait pas par des victoires, les guerres maritimes, bien qu’elle eût assurément plus de moyens pour soutenir celles-ci que celles-là. Les huit ou neuf guerres que la république eut contre les Génois, ne durèrent ensemble que vingt-cinq ans. Il fallut plus de trente campagnes pour terminer les querelles des Vénitiens avec les princes delà Lombardic, et la guerre qui précéda et suivit la ligue de Cambrai, dura presque sans interruption depuis 1495 jusqu’en 1329. De cette observation, on pourrait conclure, que les États dont la force et la richesse ont pour principe le commerce maritime, sont plus habiles à faire la guerre de mer, et plus capables de soutenir longtemps la guerre de terre. L’essentiel est de conserver les moyens de continuer scs efforts. On avait vu, un siècle auparavant, Venise réduite à ses lagunes, et puissante encore, parce que la mer lui restait ouverte. Aujourd’hui, la guerre contre les Turcs avait le plus grand inconvénient que les Vénitiens pussent redouter, elle privait l’État et les particuliers des tributs de la mer et de l’Orient. Aussi la paix avait-elle beaucoup de partisans; le torrent des voix, dit un historien, courait à la cession volontaire de Candie, que quelques sénateurs disaient être une partie gangrenée de la république. Tout le monde soupirait après le repos, c’est-à-dire après la liberté du commerce. Mais les hommes plus désintéressés rougissaientdc l’acheter à ce prix. Jean l’esaro s’éleva contre cette proposition; Louis Contarini, Louis Valaresso, François Querini, le secondèrent vivement. Ils ne se dissimulaient pas la puissance du sultan ; mais ils comptaient sur ses vices. Ils espéraient que les désordres de la cour ottomane fourniraient tôt ou tard quelque occasion favorable pour la victoire ou pour la paix; en effet, pendant qu’on délibérait à Venise, une révolution, dont le meurtre du visir avait été le premier signal, s’opérait à Constaritinople; Ibrahim venait d’être déposé, étranglé, et une faction élevait son fils sur le Lrùne; mais le moyen de prévoir la direction qu’allait prendre un gouvernement exercé , au nom d’un enfant de six ans, et dans une cour si exposée aux orages? La nouvelle de cet événement détermina le sénat, après une délibération de plusieurs jours, à rejeter la proposition d’acheter la paix par la cession de Candie. On saisit l’occasion de l’avènement du nouveau sultan, pour envoyer à la l’orte une ambassade de félicitation, c’est-à-dire un négociateur ; mais quand on demanda des passe-ports pour cc ministre, le nouveau grand-visir répondit qu’on le recevrait, s’il arrivait avec l’autorisation de