141 HISTOIRE DE VENISE. tenaient d’un ingénieur italien. On va voir si la résistance fut digne de l’attaque. A partir de ce moment, il ne sc passa pas un jour qui ne fut marqué par quelque entreprise des assiégeants, ou par quelque invention des assiégés, pour multiplier les moyens de défense. Le capitaine-général avait établi son logement sur un bastion; il inventa une machine pour déblayer les fossés. Il se tenait toujours à portée de suivre par ses yeux le succès des affaires de quelque importance; là les soldats venaient lui apporter les têtes des infidèles, car ils en avaient emprunté ce barbare usage. Le marquis de Ville fut blessé trois ou quatre fois. Le journal du siège atteste l’incroyable activité des travaux, les tentatives, toujours opiniâtrément renouvelées et repoussées, pour s’emparer des moindres ouvrages, ou pour les détruire :ou ne cheminait que dans des Ilots de sang et sur des décombres. Jamais on ne fit un aussi grand usage des fourneaux de mine, c’était la mode du temps, on en peut juger par les relevés qui ont été publiés du journal de ce siège; ils portent que, dans cette campagne, c’est-à-dire dans l’intervalle du 22 mai au 18 novembre, il y eut trente-deux assauts, dix-sept sorties, et que de part et d’autre on fit sauter la mine six cent dix-huit fois. Aussi la garnison perdit-elle en six mois, quatre cents officiers, trois mille deux cents soldats, et l'armée ottomane plus de vingt mille hommes. Qu’on se figure ce que devait être un terrain bouleversé par tant d’explosions, combien d’hommes devaient y être ensevelis, et quelle vigueur il fallait pour s’y maintenir. Cependant les Turcs , toujours très-près du corps de la place, n’étaient maîtres d’aucun ouvrage, après quatre mois et demi d’efforts continus. Vers la fin du cinquième, leurs mines curent produit un tel elTct que l’un des bastions avancés ne se trouva plus tenable pour les assiégés, et les assiégeants se préparèrent à effectuer la descente du fossé. Le 9 novembre, le généralissime ordonna une vigoureuse sortie, qui s’effectua par quatre colonnes, l’une composée d’italiens, l’autre de Français, une troisième d’Allemands,etune quatrième de milices du pays. Il en était spectateur du haut d’une courtine, exposée à tout le feu des ennemis, tandis que le marquis de Ville se tenait dans le fossé pour diriger les attaques de plus près. On parvint à déloger momentanément les Turcs de leurs réduits, à renverser leurs ouvrages et leurs drapeaux; mais il n’y avait pas moyen de s’établir dans cette position, et lorsque les troupes se retirèrent, les ennemis accoururent fièrement pour y replanter leurs étendards; alors trois mines, dont une était chargée de soixante-dix barils de poudre, éclatèrent et firent sauter eo l’air une surface immense, et plusieurs bataillons. Les pluies, qui tombèrent cette année en abondance , vinrent mettre obstacle à cette guerre souterraine, et rendre les lignes inhabitables. Les assiégeants se bornèrent à y laisser des corps-de-garde, et se retirèrent dans leur camp. Alors les assiégés sc mirent à travailler avec une ardeur infatigable à réparer leurs fortifications. Ils creusèrent leurs fosses presque comblés par les éboulements, relevèrent leurs murs et construisirent, en arrière, des retranchements nouveaux. Les Turcs ne restaient pas oisifs; ils élevaient des redoutes, de nouvelles batteries, des cavaliers, qui dominaient lesouvragesdesassiégés. Ilscontinuaient de tirer sur la place,s’avancaient pour déranger les Vénitiens dans leurs travaux, les fatiguaient par des alertes continuelles; mais eux-mêmes étaient épuisés et affaiblis : une escadre, qu'ils firent partir vers ce tcmps-là, emmena quatre mille estropiés. La peste régnait dans le camp. Le généralissime, craignant que quelques-uns de ses soldats ne rapportassent dans la ville, leur avait défendu de faire des prisonniers et de rentrer avec du butin. La saison avait ralenti, mais non suspendu les attaques. Presque tous les jours on allumait des four-neaux,on combattait dans les tranchées, et quelques habitants étaient atteints dans l'intérieur de la place par les bombes ou les boulets des ennemis; mais on ne pouvait rien entreprendre de sérieux avant d’avoir reçu de nouveaux renforts. Les galères vénitiennes étaient en mer, pour intercepter les convois qui se dirigeaient sur la Canée. Ainsi se passa l'hiver, qui, comme on voit, ne fut pas un temps de repos. Averti d’une entreprise que le grand-visir projetait sur l'ile de Standia, le capitaine-général se mit à la tête de vingt galères, alla au devant de l’ennemi, lui livra un combat de nuit, d’autant plus terrible que presque tous les bâtiments s’abordèrent, prit cinq vaisseaux, dispersa les autres, et rentra dans Candie avec quelques centaines de prisonniers, et un millier d’esclaves chrétiens, qui lui devaient leur liberté. Mais après cette bataille, on s’aperçut de quelques symptômes de peste sur la flotte, et il fallut interdire toute communication entre la ville et l'armée navale. Cependant les assiégeants voyaient arriver des escadres qui leur amenaient tantôt mille Égyptiens, tantôt quinze cents hommes partis de Constantinople, puis un millier de spahis; ensuite c’était le ca-pitan-pacha qui entrait dans le port de la Canée, avec vingt-cinq vaisseaux, portant quinze cents janissaires, qui allaient être suivis de dix-huit cents. L’histoire de 1668 se passa, sans que la place