oui HISTOIRE DE VENISE. nc dépenserait pas un sou pour être bien servi; les j promesses sont sa monnaie, et elles lui suffisent pour cela. Il en résulte qu’on ne doit pas employer avec cette cour les mêmes moyens qu’avec les au-tres. Le mal est le même, mais la complexion du malade est tout autre. En conséquence le tribunal arrête que l’ambassadeur de la république à Rome sera chargéde gagner quelque employé de la secré-lairerie du cardinal-patron, où aboutissent toutes les dépêches des nonces envoyés dans les différentes cours; afin d’être informé le plus sûrement possible de tout ce que le nonce de Venise pourra écrire intéressant la république. Le prélat de qui on aura obtenu ces avis sera recommandé, pour qu’on tâche de le rendre plus agréable à sa cour, qu’on attire sur lui l’attention du cardinal-ministre, et que dans la distribution des principaux bénéfices, il soit traité avec faveur. Lorsque ensuite cette personne sera connue, le tribunal examinera ce qu’elle vaut, quilles peuvent être ses prétentions, et déterminera, d’après l’avis de notre ambassadeur, la somme qui lui sera allouée en reconnaissance de ses services. 19" Il ne suffit pas au médecin de bien discerner le mal, il faut savoir y appliquer le remède, l’eu importe de voir les inconvénients, si on ne parvient à les écarter. Supposé que la personne employée à la chancellerie qui aura été gagnée donne avis de relations existantes entre un prélat vénitien et cette cour, quelle qu'en soit l’importance, il reste à déterminer d’avance les mesures efficaces que l’intérêt public peut réclamer. Le premier fruit de cette révélation sera la connaissance certaine du coupable, que jusqu’alors rien nc faisait distinguer parmi la foule de ceux qui pouvaient être soupçonnés de pareilles intrigues, c’est-à-dire parmi tous les prélats vénitiens qui fréquentent le nonce. Le coupable connu, ou, pour mieux dire, le plus coupable, car on ne peut guère croire qu’il y en ait de parfaitement innocents, aussitôt les inquisiteurs d'Etat tâcheront de découvrir quels sont les nobles, membres du sénat, de qui ce prélat corrompu peut tirer les renseignements qu’il transmet à la cour de Rome. Le nom du prélat sera inscrit sur nos registres, afin que, dans le cas où cette cour lui conférerait quelque bénéfice, le tribunal et les sages-grands s’entendent pour l’empêcher, sous un prétexte quelconque, même frivole, de se mettre en possession du temporel. On prendra des mesures semblables pour priver de tout avancement ses parents, plus coupables encore que lui sans doute, mais contre lesquels, faute de preuves juridiques, le tribunal ne peut sévir comme il le voudrait. On aura toujours les yeux sur eux. On aura soin de mal accueillir toutes leurs demandes, et si par hasard, pour une autre faute, ils tombent sous la main de la justice, on les fera punir avec rigueur, même au delà de ce que la faute pourrait mériter; car il ne faut pas se faire scrupule de châtier sévèrement pour une faute légère un homme qui trahit les plus grands intérêts de la patrie. 2° C’est une fatalité attachée à la condition de notre république, que, sous prétexte d’égalité, tous les citoyens se permettent de censurer les actes de ceux qui sont revêtus des principales magistratures. 11 arrive souvent que ces critiques donnent lieu à des calomnies, et qu’on taxe d’injustice des délibérations dont on ne peut connaître le motif secret. Il en résulte plusieurs inconvénients; les chefs du gouvernement se trouvent déconsidérés, comme s’ils manquaient de capacité ou d’impartialité; et devenus plus timides dans leurs jugements, pour ne pas s’exposer à la censure , ils dissimulent des fautes, ou ne les punissent pas avec toute la rigueur qu’elles mériteraient. Entre tous les magistrats qui sont en bulle à l’envie universelle, ceux contre qui la haine s’exerce le plus, ceux sur qui tous les yeux sont fixés, ce sont les inquisiteurs d’Etat, parce que ce tribunal, étant despotique et secret, est d’autant plus redouté qu’il est environné de mystère ; on le juge légèrement. 11 est vrai qu’il a toujours la force en main pour châtier cette licence; mais il semble que l’affection qu’on porte à desconcitoyens répugne à punir avec rigueur, sur la multitude sans expérience, des fautes qui paraissent même mériter un autre nom, puisqu’elles ne consistent que dans des discours. Cependant il est nécessaire de mettre un frein à cette liberté illégitime, pour l’empêcher de s’accroître; car elle arriverait jusqu’à un excès qui compromettrait le bien public : mais écartant toute idéed’inOiger des peines plus sévères qui ne feraient qu’accroître l’irritation, nous avons pensé qu’il convenait de faire taire l’envie, en ayant soin de laisser moins paraître l’autorité du tribunal. En conséquence il est arrêté que nous et nos successeurs ne prononcerons à l’avenir sur aucun délit qui n’ait été formellememcnt prévu par les statuts. Les délits non prévus seront renvoyés au conseil des Dix, et.si les inquisiteurs d’État jugent qu’il est mieux que leur tribunal s’en réserve la connaissance, ils passeront sous silence le fait dont il s’agira actuellement. Ils feront un règlement pour soumettre à l’avenir tout fait de celte nature à leur juridiction; et si l’occasion s’en présente, ils agiront en conséquence de celte disposition : au moyen de quoi leur jugement, au lieu d’être arbitraire, sera dicté d’avance par le règlement. Ce seront leurs prédécesseurs qui auront prononcé. Ils n’auront fait que se conformer à d’anciennes délibérations, et l’envie qui s’attache surtout aux vivants n’aura rien