LIVRE XXX. 81 ter, y avait-il une occasion plus importante, et un meilleur emploi à faire de l’argent qu’on pouvait avoir ? Ces raisons déterminèrent le sénat : les deux républiques s’allièrent pour quinze ans. Venise prit l’engagement de fournir aux Provinces-Unies, si elles étaient attaquées, un subside de cinquante mille florins par mois, et les Hollandais promirent, dans un cas semblable, un secours équivalent en troupes, en vaisseaux ou en argent, au choix du gouvernement vénitien. Le pape fut très-irrité de cette alliance. « Les Vénitiens, disait-il, ont pour ministre en France un homme d’un esprit turbulent, capable de mettre le feu dans le paradis, et ils vont chercher au bout du monde des hérétiques pour venir infester l’Italie; » à quoi l’archevêque tle Lyon, Marquemont, ambassadeur de France, répondit que la république faisait venir des Hollandais pour s’en servir à la guerre, et non pour les catéchiser. Ce fut en exécution de cette convention qu’on vit arriver à Venise quatre mille Hollandais, que commandait le comte Jean de Nassau. Ces troupes débarquèrent sur la place Saint-Marc, où le gouvernement vénitien, qui n’était pas fâché de déployer cet appareil militaire, fit faire la revue; mais, dit un auteur à peu près contemporain (1), j’ai entendu plusieurs fois de vieux sénateurs se rappeler cette ostentation, et s’effrayer encore d'une imprudence, qui avait mis, pendant quelques jours, leur capitale à la discrétion des étrangers. Maîtres de la ville, assurés de toutes les communications par leurs vaisseaux, ils pouvaient renverser la république sans résistance. Aussitôt que cette réflexion eut frappé quelques esprits, on se hâta de faire partir ces troupes pour le Frioul. XII. Elles trouvèrent le blocus de Gradisca recommencé, cl coopérèrent utilement à resserrer cette place, qui éprouvait, depuis quelque temps, de pénibles privations. Ce siège fut fort long; la place était sur le point de se rendre. Enfin, après trois ans de guerre, le danger de perdre Gradisca, l’arrivée des Hollandais, et l’envie de porter son ambition ailleurs, déterminèrent l’archiduc à négocier. Les haines nationales s’envenimaient au point que, dans le Frioul, un prisonnier de guerre autrichien ayant été amené devant Camille Trevisani, l’un des généraux de la république, celui-ci lui demanda qui il était, et en apprenant par sa réponse qu’il était parent de l’ambassadeur d’Espagne, lui fendit la tête sur-le-champ (27 sept. 1617). Pendant que les Vénitiens étaient engagés plus sérieusement que jamais avec les Uscoques, et à (l)Vittorio Sii i. HISTOIRE !!E VENISE. — T. H. leur occasion avec Ferdinand, ils se trouvaient en état d’hostilité avec l’Espagne, comme alliés du duc de Savoie, que cette puissance opprimait. D’une part l’archiduc nouvellement couronné roi de Bohème, et qui aspirait à la couronne impériale, sentait le besoin de se débarrasser de sa querelle avec les Vénitiens; mais comme ils ne pouvaient se réconcilier avec lui sans s’assurer de leur paix avec la branche de sa maison qui régnait en Espagne, il fallait négocier sur un plan de pacification générale : d’un autre côté, quoique les succès de la guerre qui avait lieu contre les Espagnols en Italie, eussent clé assez divers, la république ne puuvnit se dissimuler que les forces étaient inégales, et que le résultat de cette lutte devait être d’accroître la puissance de la maison d’Espagne en Italie. Il n’y avait qu’un moyen de rétablir l’équilibre, c’était que la i'rance mit le poids de scs armes dans la balance, mais elle venait de s’allier avec l’Espagne par un mariage; elle était déchirée au-dedans par des factions. Un traité conclu à Asti termina les différents du duc de Savoie avec la cour de Madrid, cependant l’inexécution de ce traité prolongeait les incertitudes. Fatiguée de tous ces troubles, la France s’interposa pour les faire cesser, en procurant un arrangement entre l’archiduc et les Vénitiens. Il ne pouvait pas être lout-à-fait tel que ceux-ci l’auraient désiré. On négligea dans le projet de traité, de leur assurer la restitution préalable de leurs navires et des marchandises. Les deux ambassadeurs que la république avait à Paris, firent des représentations sur celte omission. Le chancelier de France leur dit : « Vous objectez, messieurs, que vous n’êtes pas autorisés à conclure; cependant les conditions qui vous sont offertes sont honorables, cl vous n’ignorez pas qu’il a fallu toule l'influence du roi sur le cabinet de Madrid pour les obtenir. C’est à vous de saisir l’occasion ; il faut que vous sachiez que, si vous la laissez échapper, le roi, qui a promis la paix à l’Italie, s’unira avec l’Espagne pour faire celte paix aux dépens de ceux qui la refusent, et dont le repentir sera désormais inutile. » Les ambassadeurs demandèrent un délai pour attendre des ordres de Venise. On le leur refusa. Le roi lui-même eut avec eux une conférence, pour les déterminer à accepter le traité. Il prit sur lui ce que leur conduite pouvait avoir d’irrégulier, et leur donna même un écril qui contenait à peu près une garantie des autres conditions qu’ils désiraient. Ébranlé par toutes ces attaques, les plénipotentiaires se laissèrent aller au delà de leurs instructions. Ce fut un grand sujet de scandale pour Venise; on y ratifia le traité, mais on rappela les ambassadeurs, et on allait commencer leur procès, 6