180 HISTOIRE DE VENISE. république, de la part du pape, un bref, qui contenait des reproches sévères, mais qui demeura sans effet. Les sujets de la république avaient profité de la décadence du gouvernement, qui, averti de sa faiblesse, commençait à sentir la nécessité d’avoir d’autres garants de la fidélité des peuples, que des soldats étrangers et l'inquisition d’État. L'orgueil des nobles vénitiens s’était humanisé jusqu’à rendre le patrieiat moins inaccessible. Ils avaient décrété, en 1775, que le livre d’or resterait ouvert pendant vingt ans, et qu’on pourrait y inscrire jusqu’à quarante nobles de terre-ferme, ou autres sujets de la république, pourvu qu’ils justifiassent d’un revenu de dix mille ducats, et que leur noblesse remontât jusqu’à leur bisaïeul. On exigeait aussi que les nouveaux patriciens fixassent leur résidence à Venise, ce qui se conciliait assez peu avec les habitudes et les intérêts des gentilshommes des provinces. Qu’aurait dit de cette agrégation faite en pleine paix, dans les temps d’opulence, le vieux Michielli, qui, pendant la guerre de Candie, entendant une pareille proposition, s’écriait : Vcndcr i jifjlj, ma non niai vender la nobilià! Les mœurs étaient bien changées; le cavalier üiedo, qui parla vivement contre ce projet, en fut puni par les arrêts domestiques, que lui infligèrent les inquisiteurs d'État. Au reste, cette dignité du patrieiat fut estimée ce qu’elle valait, on montra peu d’empressement à la demander. A cette époque, les forces de la république consistaient en huit ou dix vaisseaux de ligne, quelques frégates et quatre galères, qui tenaient la mer, et dans une vingtaine de bâtiments en construction; mais ces bâtiments, 011 ne les achevait jamais. Lorsque les Français entrèrent dans Venise, en 1797, ils trouvèrent sur les chantiers treize vaisseaux et sept frégates; il n’y avait pas de matériaux suffisants - pour les terminer, et de ces treize vaisseaux, deux étaient commencés depuis 1732, deux depuis 1743, deux enfin depuis 1732, c’est-à-dire qu’avant d’être en état de sortir du chantier, ils avaient déjà soixante-cinq ans. Cet appareil de constructions navales 11’était qu’un moyen d’entretenir l’illusion : ces vaisseaux étaient d’un faible échantillon ; ils ne portaient que du canon de vingt-quatre à leur batterie basse ; ils 11e pouvaient sortir du port avec leur artillerie ; 011 était obligé de les armer dehors ; les officiers n’avaient eu depuis longtemps aucune occasion d’acquérir de l’expérience, et une marine marchande, qui n’occupait que quatre ou cinq cents vaisseaux, ne pouvait fournir des marins pour armer une escadre formidable. Pendant la guerre contre les Barbarcs- ques, on manquait de mousses: on fut obligé d'enlever la nuit des enfants de pêcheurs; les pères, irrités, se retirèrent sur les terres du pape. Cet état de la marine marchande indique à quel point le commerce était réduit. Il en était de même des manufactures; avant la perte de Candie, ou fabriquait à Venise de cent vingt-quatre à cent vingt-six mille pièces de drap pour le Levant; dans les temps postérieurs on n’en fabriquait pas cinq mille. L’armée de terre, qui jouissait de peu de considération, parce que l’orgueil patricien avait toujours dédaigné ce service, d’ailleurs très-mesquinement payé, consistait en sept mille Italiens et cinq à six mille Esclavons; c’était douze à quatorze mille hommes d’infanterie. Sous celte dénomination d’italiens, on comprenait des recrues de toutes les nations du monde, excepté des Espagnols, car la république n’en admettait jamais à son service. Dans les temps de guerre, 011 achetait, quand on le pouvait, des régiments, en Hollande, en Bavière et chez les Grisons. Pour la cavalerie, le gouvernement avait, avec vingt-cinq capitaines, habitants des provinces de la terre-ferme, des traités par lesquels chacun de ces officiers s’obligeait à mettre sur pied, à la première réquisition, cent hommes montés. On conçoit ce que pouvait être une cavalerie non exercée, et dont le gouvernement ne fournissait ni l’équipement ni les chevaux. A ces forces si médiocres, l’opinion ajoutait la possibilité de lever cent mille hommes de milice. O11 voit que, pour leur armée de terre encore plus que pour leur marine, les Vénitiens étaient restés fart en arrière des gouvernements contemporains. Cependant dès 17G0 on avait eu l’idée d’introduire dans cette petite armée les manœuvres prussiennes, comme s’il eût convenu à la république d’imiter Frédéric-le-Grand. Les Vénitiens, que leur orgueil aurait dû garantir de l'enthousiasme, avaient partagé l’engouement de l’Europe pour le conquérant de la Silésic, et déjà 011 parlait dans le sénat de rechercher l’alliance de la Prusse, pour échapper à la violence de la maison d’Autriche. L’artillerie et le'génie qui, jusque-là, n’avaient formé qu’un seul corps dont les officiers étaient ingénieurs et les soldats canonniers, furent séparés en 1770 et formèrent deux corps distincts, à la tête desquels le gouvernement plaça deux officiers anglais. Les progrès de l’agriculture et l’habileté du fisc avaient presque doublé le produit des impôts depuis la paix de l’assarowitz ; puisqu’ils s’élevaient, vers la fin du siècle, à onze millions six cent mille ducats (quarante-huit millions cinq cent mille francs). On serait tenté de croire que la tyrannie s’était adoucie, car 011 sait que c'est eu raison de la