HISTOIRE DE VENISE. LIVRE XXXIV. CONQUÊTE DE LA MORÉE TAU LES VÉNITIENS. — PAIX DE CARLOWITÏ, 1670-1699.—GUERRE DE LA SUCCESSION d’es-l’AGNE.— NEUTRALITÉ DES VÉNITIENS, 1700-171 5.— LES TURCS DÉCLARENT LA GUERRE A LA REPUBLIQUE. — ELLE PERD l.’lLE DE TINE, LA SUDA ET SPIN A-LONGA EN CANDIE, ET LA MORÉE.—SIEGE DE CORFOU. — PAIX DE PaSSA- ROW1TZ, 17 13-1718. I. Ce n’était pas une médiocre gloire, pour les Vénitiens, d’avoir soutenu pendant vingt-cinq ans une lutte corps à corps avec l’empire ottoman. Ils n’en sortaient pas sans pertes, mais l’honneur des armes leur restait. Vainqueurs dans dix batailles navales, défenseurs opiniâtres d’une place, qui avait coûté plus de cent mille hommes à l’ennemi, ils pouvaient se vanter d'avoir porté les premiers coups à ce colosse, qui avait menacé de fondre de tout son poids sur l’Europe. La population vénitienne en avait beaucoup souffert ; mais le trésor de la république avait forcé plusieurs autres nations à contribuer de leur sang à la défense de Candie ; un ambassadeur de France qui résidait à Venise en 1701, assure qu’il est constant par les registres mêmes tenus à Venise, que, dans la seule ville de Lyon, on avait levé, pendant cette guerre, jusqu’à 80,000 hommes pour les enrôler sous les drapeaux de Saint-Marc. Rien n’inspire un plus juste orgueil, que d’être sorti avec honneur d’un combat inégal. Cette guerre aurait ranimé l’esprit national dans la république, s’il en fût resté quelques étincelles ; mais on ne voulait être triomphant que pour jouir avec sécurité de scs richesses ; on ne désirait la paix que pour les accroître. « Cette république, disait un prince contemporain (1), n’est plus celle qui a mérité l’admiration du monde, par sa sagesse et son énergie. Irrésolue dans ses conseils, lente dans ses mesures; divisée par des cabales, égarée par l’imprudence des jeunes gens, elle est sans trésors, sans généraux, sans armées. » Il y avait quelque exage- (1) Le duc de Mantoue. ration dans ce portrait satirique ; la guerre de Candie, qu’on vient de lire, et celle de la Morée, que nous allons avoir à raconter, le prouvent suffisamment. Cependant un autre homme, dont la mission était d’observer, le comte d’Avaux, ambassadeur de France, écrivait à peu près dans le même temps : « Us ne sauraient mettre sur pied et entretenir huit mille hommes de troupes réglées ; car pour leur milice, je ne la compte pour rien. Nulles de leurs places ne sont munies ; et la guerre de Candie, qui a enrichi la plupart des nobles, a tellement appauvri la république, qu’elle a besoin d’un très-long temps pour se remettre. Elle a même quasi perdu son crédit, par les diverses réductions qu’elle a faites de l’intérêt de l’argent donné à vie; et tout ce qu’elle lire de ses sujets, en quelque manière que ce soit, ne va qu’à vingt-quatre millions. » L’État venait de perdresa plus importante colonie ; la dette publique était accrue de soixante-quatre millions de notre monnaie. Le trésor de six millions de se-quins qui existait avant la guerre de Candie, se trouvait, disait-on, réduit à cinq cent mille. Ce n’étaient pas là des pertes que le commerce put réparer; cependant les citoyens crurent n’avoir plus rien à regretter, dès que la mer leur fut ouverte, et qu’ils purent se livrer à ces spéculations, source de toutes les fortunes particulières. La situation de l’Europe leur promettait quelques années de repos. L’empereur faisait les derniers efforts, pour opprimer la liberté delà Hongrie et assurer à sa maison la possession de cette couronne. Louis XIV se trouvait au plus haut point de ses prospérités; il conquérait l’Alsace, la Franche-