518 HISTOIRE DE VENISE. 011 d’un dessinateur vénitien, dans laquelle on voit, à cinq ou six cents lieues vers l’ouest de Gibraltar, une grande terre au dessous de laquelle on lit le mot Antillia. Il est vrai que pour la forme, la position, la distance, cette terre ne ressemble point au groupe d’îles que nous appelons de ce nom ; mais il n’en résulterait pas moins que les géographes vénitiens auraient indiqué l’existence d’une grande terre au delà de l’Océan atlantique, soixante ans avant le voyage de Christophe Colomb. 11 resterait à examiner si cette carte n’est point apocryphe; si, en la supposant authentique, sa date est exacte; s’il en faut conclure que l’existence des terres nouvelles qui y sont marquées était connue, ou seulement soupçonnée à cette époque; enfin, si la découverte en était due aux Vénitiens. On juge bien que les historiens de cette nation ont eu soin de résoudre toutes ces questions à l’avantage de leur système. Selon eux, ce furent deux frères de l’illustre Charles Zéno, le héros delà guerre de Chiozza, qui, vers la fin du quatorzième siècle, découvrirent l’Islande, le Groenland, le Canada, la Virginie, et le Mexique. D’aulres avaient exploré toutes les côtes d’Afrique depuis le détroit de Gibraltar jusqu’à celui de Babelmandel : enfin les Vénitiens connaissaient Madagascar et les lies de l’Océan indien. Il est permis de douter de la découverte de l’Amérique par les frères Zéno; mais il reste toujours constant que les Vénitiens avaient contribué aux progrès des connaissances géographiques; et l’Angleterre avoue les services dont elle fut redevable à Jean et à Sébastien Cabot, leurs compatriotes. Le premier découvrit l’ile de Terre-Neuve, en 1497, et soupçonna l’existence d’une communication entre la baie d’Htidson et la mer du Sud. Le second entreprit de la chercher; mais au lieu de prendre la route du nord-ouest, indiquée par son père, il fit voile du port d’Harwich, le-4 mai 1SS6, s’éleva jusqu’au soixante-dixième degré de latitude, passa l’hiver dans la mer Glaciale, et, l’été suivant, se mit à côtoyer la Laponie russe. On n’en sait pas davantage sur cette expédition. Les Anglais avaient récompensé les deux Cabot par des pensions: le gouvernement de la république prit soin de constater la gloire des voyageurs vénitiens, en décorant le palais ducal de cartes où étaient indiqués les lieux, les dates et les noms des auteurs des découvertes. Les voyages de ce peuple célèbre propagèrent la connaissance d’un grand nombre de produits de l’Orient, dont l'importation en Europe était un véritable bienfait. Il faut placer au premier rang l’introduction de la culture du millet en Italie, qui fut un des résultats de la conquête de Constan-tinople, et celle du mûrier, que les Vénitiens ap- portèrent du Levant dans le nord de l’Italie. Les connaissances astronomiques, qui intéressent de si près la navigation , devaient être fort en honneur dans une ville comme Venise. La république prouva plus d’une fois son zèle pour leurs progrès. Lorsqu’on apprit que le Danois Tycho-Brahé élevait, à grands frais, dans une île de la mer Baltique, un observatoire pour le perfectionnement de celte science, le gouvernement vénitien envoya un astronome en Égypte, avec la mission de faire, dans la patrie de Ptolémée, des observations dont le résultat devait être la réfutation du système céleste de cet ancien. Tycho-Brahé en exprima publiquement sa reconnaissance dans la préface de son Astronomie mécanique. Quelque temps après, l’université de Padoue eut la gloire de compter parmi ses professeurs l’illustre Florentin Galilée, qu'ï y occupa une chaire pendant vingt ans. La munificence du sénat, qui tripla son traitement, ne put l’y retenir, et ce grand homme cul lieu de regretter une terre hospitalière, où l’inquisition n’aurait pas exigé le désaveu des vérilés nouvelles dont il s’était déclaré le défenseur. Ce fut en présence du doge et des principaux de l’État qu’il fit, en 1609, les premières expériences du télescope et du pendule. Le sénat en consacra le souvenir par un décret honorable, et une médaille fut frappée à celle occasion. Une.autre invention de Inutilité la plus générale, et dont le gouvernement vénitien peut réclamer une noble part, fut celle de cet ingénieux appareil par lequel, dans la navigation intérieure, on fait franchir aux barques les passages escarpés, en élevant ou abaissant à volonté le niveau du bassin artificiel qui les a reçues. Le premier essai des écluses eut lieu sur l’un des nombreux canaux qui sillonnent le territoire de la république. 11 est vrai que le dessin en avait été tracé par un ingénieur étranger, mais l’administration s’associe à la gloire des artistes, lorsqu’elle aperçoit la première l’utilité d’une découverte, et la démontre par une expérience. La révolution opérée dans l’art de la guerre par l’invention de la poudre à canon fit sentir la nécessité d’un nouveau système pour la défense des places. Les murs ne pouvant plus résister au choc des nouveaux projectiles, il fallut substituer la fortification rasante à la fortification escarpée, et pour tenir l’ennemi éloigné, pour défendre le front des ouvrages, il fallut les flanquer d’angles aigus, qui, s’avançant vers la campagne, mettaient l’ennemi dans l’impossibilité d’approcher sans être foudroyé de trois côtés. Ce sont ces ouvrages saillants que l’on a appelés bastions. L’invention en est généralement attribuée à un architecte véronais, nommé San-Michcle, qui le premier en éleva le modèle à