3S2 HISTOIRE DE VENISE. le nonce à l’ambassadeur, qui peut-être, effraye du danger de scs agents, cessera de poursuivre de pareilles entreprises. 14° Si on pouvait être assuré que le faux avis donné par le prélat au nonce produisit l’effet qu’on en désire, c’est-à-dire qu’il inspirât assez de terreur à tous les émissaires, pour les détourner de s’exposer à un pareil danger, on aurait obtenu un grand bien sans le moindre inconvénient; car s’il n’y avait point de tentateurs, les nobles n’iraient pas d’eux-inêmes offrir leurs services aux ministres étrangers; mais ces ministres, toujours choisis dans les monarchies parmi les hommes de l'esprit le plus pénétrant, au contraire des républiques, où les factions et le crédit des familles portent souvent aux emplois îles hommes très-médiocres, ne pourront guère prêter foi, non plus que leurs secrétaires, à l’autorisation de tuer un homme, et ils devineront facilement les raisons qui en ont effectivement détourné le tribunal : par conséquent le moyen indiqué ci-dessus demeurerait sans effet, si on ne tâchait de leur persuader la réalité de l’avis donné par le prélat affidé : il faut que, sans être vrai, il produise le même effet que s’il l’était : dans cet objet le tribunal arrête que, de trois en trois ans, nous et nos successeurs ferons faire des recherches, pour savoir s’il n’existerait pas dans Venise quelque banni qui eût violé son ban : il faudrait que ce banni fut un homme de quelque capacité et de condition honnête. On choisirait parmi les agents du tribunal, un noble, homme de résolution, et ayant actuellement séance au sénat ; on chargerait ce noble, en lui offrant pour cela une récompense considérable, de chercher un prétexte pour avoir un rendez-vous avec ce banni, de le tuer, cl puis de se vanter, mais avec quoique apparence de mystère, de ne s’être porté à cette violence que parce que ce banni avait voulu le gagner en faveur de l’Espagne. Il ne dirait pas y avoir été formellement autorisé, mais quelques jours après il annoncerait avoir reçu sa gràcedu tribunal. L’ambassadeur, sachant bien que l’homme tué n’était point un de 4is agents, jugera que le patricien a fait un mensonge, qu’en assassinant cet homme il n'a fait que venger une injure personnelle, et qu’ensuite il l'a calomnié pour éviter la peine duc à cet attentat; mais il suffît que l’ambassadeur et tous ses gens soient persuadés que le tribunal a fait grâce au meurtrier, en considération des tentatives de corruption dont il a été l'objet, et il en conclura que si la tentalive avait été réelle, le meurtrier aurait été traité avec la même indulgence. Cependant il faudra avoir soin que le meurtre soit commis avec une arme blanche, car s’il l'était avec une arme à feu, dans une circonstance où la tentative de corruption n’est que sup- posée, l’ambassadeur pourrait soupçonner quelque collusion entre le meurtrier et le tribunal. Si le banni assassiné était dans l’usage de chercher asile pour sa sûreté dans le palais de l’ambassadeur, ce serait une circonstance très-favorable, parce qu’on en croirait plus facilement à la tentative de corruption, et que l’ambassadeur lui-même ne larderait pas à croire que le banni, sans en avoir reçu l’ordre, aurait tenté ce moyen pour n’en parler qu'après le succès, et s’en faire un mérite auprès de lui. 13" Depuis quelque temps le conseil des Dix a adopté l’usage de priver de la noblesse des nobles contumaces accusés de délits graves, bien que ces délits ne tinssent ni à la félonie, ni à la soustraction dus deniers publics, seules fautes qui autrefois étaient punies de cette privation. Il est vrai qu’autrefois la privation de la noblesse était une peine plus rare, et que lorsqu’un banni était relevé de son ban, il n’était rétabli dans sa noblesse que par le conseil des Dix et avec une grande majorité de suffrages. Depuis, le grand-conseil s'étant réservé le droit de prononcer la réintégration de la noblesse, il en résulte que le conseil des Dix ne peut, quand il le juge à propos, relever le coupable de cette peine, et qu’un banni est quelquefois rappelé, sans être pleinement rétabli dans scs anciens droits, bien que le conseil des Dix pût avoir quelque raison de le faire. Cette restriction diminue la considération du conseil des Dix aux yeux des nobles, des sujets et des étrangers; on voit que son autorité a été restreinte; cependant la condition des tcmpsctl’intérèt public demanderaient que cette autorité fût accrue au lieu d’être amoindrie, et qu’on environnât de plus de respect une magistrature qui contient tout le monde dans le devoir. Eu conséquence, le tribunal arrête qu’à l’avenir, lorsque lesavogadorsde la commune, ou les chefs du conseil des Dix, proposeront le bannissement avec privation de la noblesse contre un patricien accusé d’un délit grave, qui ne soit ni félonie ni soustraction de deniers publics, le secrétaire du tribunal mettra sous les yeux de nos successeurs le présent article, afin que les inquisiteurs avertissent les chefs du conseil des Dix qu’il paraîtrait plus convenable à la dignité de ce conseil de ne pas exprimer la perte de la noblesse dans la condamnation au bannissement de ce noble, et de ne pas faire rayer son nom du livre tenu à l’avogaric, parce qu’il en résulterait que si le conseil des Dix rappelait le banni, il faudrait ensuite supplier le grand-conseil de le rétablir dans la noblesse: qu'il vaudrait mieux, au lieu de cette formule positive, dire que le banni, dans le cas même où il obtiendrait son retour, n’en resterait pas moins suspendu de tous les privilèges de la noblesse, et qu’il ne pourrait être relevé de cette suspension que par