LIVRE XXXVI. 193 u Les affaires vont de mal en pis. l a nation ne veut ni des bailliages, ni de la cour plénière : cependant le cours de la justice ne peut demeurer totalement interrompu sans une subversion générale. On ne peut plus voir quel expédient momentané reste au ministère, qui u’entraîne la perte de l’autorité souveraine, et n’achève de mettre le royaume en combustion. Voilà l’effet de l’imprévoyance : un gouvernement est sans force quand il est sans maturité. « On pense que le ministère veut détruire entièrement les parlements. C’était son intention de la semaine dernière; mais comme ici on compte par jour, il serait possible qu’on lut frappé des dangers d’une tentative si hasardeuse, à une époque si voisine de la réunion des états-généraux. « Cette assemblée, demandée à grands cris par tous les ordres, et qui trouvera la nation dans un état d’irritation, ne peut manquer d’avoir des conséquences incalculables. L’autorité des ministres, si ce n’est même celle du roi, en souffrira certainement. La doctrine reçue relativement à ces assemblées, est qu’elles représentent toute la puissance nationale. Elles ont une double destination : l’une est d’exposer au prince tous les désordres, de lui adresser des remontrances sur les abus; l’autre est fie venir à son secours, lorsque des moyens extraordinaires deviennent nécessaires pour subvenir aux besoins de l’État. Or, qui sait jusqu’où peuvent s’étendre les remontrances, à propos d’abus et de désordres? et qui oserait prévoir tout ce qu’on peut s’aviser de proposer, lorsqu’il s’agira de mettre les dépenses au niveau des recettes? En attendant, les effets royaux sont aujourd’hui plus bas que jamais. « Sérénissime prince, le temps présent réclame toute l’attention, toute la vigilance des observateurs politiques. La crise imprévue de la France fait naître un nouvel ordre de choses dans le système général. Le désordre des affaires de cette puissance et scs dissensions intestines, lui ont fait perdre sa considération au dehors. La perte de ses alliés a été la conséquence de la faute qu’elle a commise en abandonnant la Hollande. Le stathouder, devenu à peu près souverain, n’a plus eu de sûreté qu’en se jetant dans les bras des cours de Berlin et de Londres ; et aujourd’hui il est question d’un traité avec l’Angleterre, pour les affaires de l’Inde, ce qui cause une vive inquiétude à cette cour-ci. “ La Suède, qui, depuis longtemps, n’osait lancer a l’eau quatre vaisseaux, sans s’en être entendue avec la France, vient de déployer sur terre et sur ,ner l'appareil d’un armement formidable ; et cela à ' instigation de cabinets qui ne sont point les amis de la cour de Versailles. « La Porte, dans la guerre actuelle, s’est tout-à-fait affranchie de cette espèce de joug, que, depuis des siècles, la France avait imposé au divan ; et certainement tout le crédit, toute l'influence dont la France y jouissait, va passer à l’Angleterre. « L’empereur et l’Espagne sont les seuls alliés qui restent au roi : niais l’alliance avec l’empereur est une alliance passive, c’est-à-dire que l’Autriche exerce une grande influence sur la France, sans qu’il y ait réciprocité. Les derniers événements de Hollande en fournissent la preuve complète. « Quant à l’étroite alliance qui subsiste avec l’Espagne, elle pourrait éprouver du relâchement dans un changement de règne, et d’après les lois ordinaires de la nature, ce changement ne doit pas être éloigné. « L’Angleterre, en même temps qu’elle se fortifiait de l’alliance de la Prusse, a enlevé à la France tous ses alliés, non par les armes, mais par l’intrigue et le secret. Pour opérer la révolution de Hollande, elle y a fait passer des guinées au lieu de soldats, et maintenant, pour secourir la Porte, sans être obligée de rompre sa propre neutralité, elle fait armer la Suède. « Telle est, dans la politique actuelle, la situation relative de la France et de l’Angleterre. Aujourd’hui que notre république n’a rien à espérer de l’ancienne rivalité des maisons de France et d’Autriche; aujourd’hui que la première de ces deux puissances suit les impulsions de l’autre, et qu’écrasée de dettes, déchirée par des discordes intestines, elle abandonne ou perd ses plus anciens alliés; aujourd’hui que tous les souverains de l’Europe cherchent à se fortifier par des alliances, et que l’Angleterre elle-même, désabusée par la fatale expérience de la dernière guerre, a reconnu le danger de rester isolée; aujourd’hui enfin que la république peut être détournée de son système de neutralité, par ceux qui voudraient l’entraîner dans leurs embarras et l’associer à leurs propres périls, je demande avec respect à vos excellences, si ce n’est pas le moment de réfléchir sérieusement sur notre situation, et s’il convient à notre sûreté de rester dans l’isolement ? « Sans entreprendre des alliances, qui, je le sais, ne peuvent mûrir qu’avec le temps, il y a des moyens de se rapprocher, par une correspondance plus intime, par des ouvertures secrètes. On peut être unis sans être alliés; une puissance qui s’entend avec d’autres, obtient plus de considération et a plus de garanties. Il est vrai que ce sont les circonstances qui font les alliés, niais il ne l’est pas moins qu’au moment du besoin, on ne les trouve pas aussi promptement qu’on le voudrait. « Je parcours des yeux toute l’Europe, et je vois