LIVRE XXIX. 67 Gcrson a dit, qu’exiger de ses inférieurs l’obéissance passive à des ordres injustes, c’est exiger d’eux une patience d’âne. La résistance est un devoir pour ceux qui n’ont point de supérieur, c’est-à-dire pour les princes, qui doivent être les protecteurs de la religion de leurs sujets. L'excommunication ne fait pas le péché; elle le suppose : donc là où il n’y a point de péché elle n’existe pas. On abuse tous les jours de l’excommunication. Le concile de Trente, qui recommande d’ailleurs de ne l’employer qu’avec une extrême circonspection, défend aux magistrats séculiers de troubler l’évêque qui a appliqué cette peine, quand même elle serait injuste ; d’où il suit, selon le concile, qu’il faut respecter la juridiction ecclésiastique, moine aux dépens de la justice, et qu’il y a moins de mal à ce qu’un innocent soit puni sans l’avoir mérité, qu’à ce qu’un évêque soit troublé dans l’exercice de son autorité. Le même canon dit que, si l’excommunié vit un an dans l’excommunication, il doit être réputé hérétique, et traduit à l’inquisition ; d’où il suit que, si un particulier est excommunié par son évêque, pour n’avoir pas payé une redevance, comme cela arrive souvent, et si dans un an il ne devient pas assez riche pour s’acquitter, il mérite d’être brûlé en qualité d’hérétique. L’excommunication lancée contre la multitude est injuste et sacrilège. Les immunités ecclésiastiques ne sont point de droit divin, mais de droit humain; car le docteur angélique a dit que, si les ecclésiastique sont exempts 'lu tribut, cette exemption n’est point de jure divino, mais une concession du prince. Les richesses ne seraient pas moins fatales à l’É-Süse, que son indépendance de la puissance séculière. L’église grecque, qui est toujours restée dans la pauvreté, n’a pas été exposée à tous les scandales qui ont déshonoré l’église latine. Celle-ci a donné naissance à plus de cent hérésiarques. 11 y a deux avantages à tenir les ecclésiastiques dans la néces-sile de recevoir leur subsistance de la charité des fidèles; l’un, c’est que cette dépendance les oblige a s observer plus attentivement; l'autre, que cela entretient la compassion et la piété du peuple. Il existe un contrat entre les peuples et les prê-lres- Quand ceux-là fournissent le temporel, ceux-01 peuvent se dispenser de fournir le spirituel. papes, loin d’avoir une suprématie tempo-r'-Mej n’ont pas toujours eu la suprématie spirille. Sairit Pierre, avant d’aller à Rome, avait 0ndé la chaire patriarcale d’Anlioche, d'où il suit (lUc ce siège est le plus ancien. Dans la suite, on divisa le monde chrétien en quatre patriarcats, qui étaient ceux de Rome, d’Àntioche, d’Alexandrie et de Constantinople. Celui de Rome était nommé le premier, mais sans aucune autorité sur les autres. Les souverains pontifes se sont arrogé cette suprématie temporelle, maiscommentPen se rangeant toujours du parti des princes usurpateurs et en consacrant les usurpations. Aussi, tandis que tout tend à s’affaiblir dans ce monde, dans la monarchie ecclésiastique tout est allé en croissant, si l’on en excepte la sainteté. Les princes temporels ne relèvent que de Dieu, et il y a quatre manières de devenir prince : l’élection, la succession, la donation et la conquête; toutes quatre reconnues pour justes et légitimes. Jésus-Christ n’ayant point exercé le pouvoir temporel, ne l’a point transmis à son vicaire. Ee pape n’a aucun pouvoir sur le temporel des princes. Il ne peut ni les punir lemporellement, ni annuler leurs lois, ni encore moins les dépouiller de leurs États, ni délier leurs sujets du serment de fidélité. Rien n’affranchit les ecclésiastiques de la puissance séculière. Le prince exerce nécessairement sur leurs biens et sur leurs personnes, le même pouvoir que sur ses autres sujets. On éprouve quelque étonnement de voir de pareilles maximes professées pardes religieux italiens, et cela à une époque où une ligue de fanatiques venait de désoler la France, où Jacques Clément venait de poignarder Henri III, où le portrait de ce moine assassin était sur l’autel, où la Sorbonne appelait Henri IV Henri-lc-relaps, où les prêtres de France refusaient de prier pour le roi, où le jésuite Guignard écrivait : « Si on peut guerroyer le Béar-nois, qu’on le guerroie; si on ne peut le guerroyer, qu’on le tue; » où le curé Aubry, le jésuite Varade, le chartreux Ouin, les jacobins Arger et Ridicovi, un capucin de Milan, un vicaire de Saint-Nicolas-desChamps, enfin Pierre Barrière et Jean Châtel, avaient successivement tenté le parricide qui fut consommé par Ravaillac. Les malheurs de la France ne prouvent que trop combien était sage et utile l’exemple que les Vénitiens donnaient à l’Europe. Aussi tous les écrits publiés en faveur de ce gouvernement furent-ils poursuivis avec fureur par l’inquisition, jusque-là qu’en Espagne, il fallut un ordre du roi pour que le saint-office s’abstînt déjuger la protestation officielle du sénat contre le monitoire, et qu’à Milan l’inquisiteur osa citer à son tribunal le résident de la république. Le gouvernement vénitien se vengea noblement. Il laissa circuler dans ses États, sans y mettre aucun