590 HISTOIRE DE VENISE. Jules se serait couvert d’une gloire immortelle, s’il eût porté toute autre couronne que la tiare. Le cardinal de Médicis, qui prit le nom de LéonX, lui succéda dans la chaire de Saint Pierre (1), et fut couronné le jour anniversaire de la bataille de Ravenne, où il avait été fait prisonnier par les ï’rançais. On était dans l’attente des changements que l’exaltation d’un nouveau pape pouvait apporter dans la politique de la cour de Rome ; mais ceux qui les espéraient ne savaient pas, qu’après les États aristocratiques, les gouvernements les plus constants dans leurs systèmes, sont ceux où la couronne est élective, parce qu’il faut que l’inviolabilité des maximes compense ce qu’il y a d’incertain dans le droit de succession. Un prince, qui monte sur le trône après son père, y porte ses passions et ses vues. Un prince, qui passe tout à coup de la condition privée au rang des souverains, devient un homme nouveau , pour qui il n’existe plus de liaison entre le passé et le présent. 11 n’y a point de poste où on dépouille sitôt le vieil homme, que dans la chaire de Saint Pierre. LéonX avait beau faire protester à Louis XII qu’il aurait toujours présente à la mémoire la protection que la France avait accordée à son père Laurent-le-Magnifique; ces promesses n’étaient que des formules. On ne peut pas douter que ce pape, quoique né avec des inclinations moins guerrières, n’eût les mêmes vues que Jules II. Guichardin dépose (2) avoir ouï dire au cardinal de Médicis, favori de Léon X, qu’après avoir expulsé les Français de Gênes et de Milan, ce pontife espérait conquérir facilement le royaume de Naples, et mériter ainsi le titre glorieux de libérateur de l’Italie, objet avoué de l’ambition de son prédécesseur. VIL L’armée du roi, commandée par Louis delà Trémouilîc, qui avait sous lui le maréchal de Tri-vulce, passa les monts pendant qu’Alviane, prisonnier des Français depuis la bataille d’Agnadel, retournait à Venise pour y prendre le commandement des forces de la république. A l’approche des Français, l’armée espagnole, qui ne favorisait pas les vues ambitieuses du pape, et qui déjà avait fait révolter les villes de Parme et de Plaisance contre lui, se mit en marche pour rentrer dans le royaume de Naples. On jugea que le roi (1) On peut voir sur celte élection le journal de ce qui s’est passé au conclave après la mort du pape Jules 11 (Recueil des lettres de Louis XII, t. IV, p. 63), et mie dépû-clie du comte de Carpi, ambassadeur de l’empereur à Rome, sur le même sujet. (Ibid. p. 72.) ('2) Liv. 14. Le comte de Carpi, ambassadeur de l’empereur à Rome, écrivait à son maître, après l’élection: «Opi-nionemeâponlifex maximus potiuserit njitis ut agnusquam d’Arragon, plus fidèle à ses intérêts qu’à la ligue, voulait avant tout mettre ses États en sûreté. Si les armes françaises devaient être malheureuses, sa coopération était inutile ; si au contraire Louis XII devait conquérir le Milanais, il importait à Ferdinand de ne lui avoir donné aucun sujet de plainte, et, dans tous les cas, il ménageait ses propres forces, et se tenait en mesure de défendre scs frontières, ou d’intervenir selon les occurrences, dans les arrangements de la paix. Les agents de l’empereur demandaient que le pape commandât au roi d’Arragon, sous peine d’excommunication, de rompre sa trêve avec la France (5). Cependant cette armée espagnole s’arrêta dans sa marche, cl revint occuper sa position sur la Trebbia. La première opération de l’armée française fut de surprendre Asti et Alexandrie. Le peu de Suisses qu’il y avait, car leur armée n’était pas encore rassemblée, repassa le Pô et se jeta dans Novarre, où ils attendirent des renforts. Gênes fut recouvrée presque aussitôt, à la faveur des partisans que les Français y avaient conservés. Pendant ce temps-là, les Vénitiens, après avoir essayé sans succès d’enlever Vérone par un coup de main, avaient passé le Mincio vers la fin de mai, repris Peschiera, et s’avancaient avec une telle rapidité, dans l’intention de se joindre à l’armée française, qu’ils ne voulurent pas se détourner pour prendre possession de lirescia qui les appelait. Alvianc se contenta d’envoyer un détachement, pour seconder les bonnes dispositions des habitants-. Il dirigea sa marche vers Crémone, entra dans le château, que les Français tenaient encore depuis la campagne précédente, de là se jeta dans la ville, fit prisonnière la garnison milanaise, forte d’à peu près mille hommes, et reçut le serment de fidélité que les habitants prêtèrent à Louis XII, voulant avoir l’honneur de remettre lui-mème cette place sous la puissance du roi. Les Espagnols, campés sur la Trebbia, demeuraient spectateurs indifférents deces conquêtes. Presque toutes les autres places du Milanais reçurent garnison ou envoyèrent leurs clefs. Milan traitait de sa soumission. Ces peuples avaient éprouvé qu’il n’y a pas de condition plus déplorable que d’obéir à un prince régnant sous la protection de l'étranger. Les Suisses leur avaient appris que les mœurs rustiques n’excluent ni l’arrogance ferox ut leo : paris erit cultor magis quam belli ; erit fidei promissorumque servatos religiosus ; amicus (Jallorum certé non erit, sed nec acer hostis ut fuerat Julius. Gloriam et honorem non negüget, favebit litteratis, hoc est oratoribus et poetif, ac etiam musicis; ædificia construet, etc. » (Recueil des lettres de Louis XII, t. IV, p. 79.) (3) Recueil des lettres de Louis XII, t. IV, p. 119.)