376 HISTOIRE DE VENISE. Sur ces entrefaites, ou apprit la mort du cardinal d’Ainboise. Comme il était l’ennemi personnel de Jules II, on se ilatta que la réconciliation du roi et du pape deviendrait plus facile, quand le ministre n'y mettrait plus obstacle; mais cette mort fournit à la politique du pape une nouvelle occasion de brouillerie. 11 s’avisa, en vertu d’une ancienne prétention de la cour de Uome, de réclamer l’épargne du cardinal, que l’opinion publique faisait monter à trois cent mille écus d’or en espèces. Cette demande était sans doute fort étrange ; mais elle le devient un peu moins, si l’on considère que les trésors du cardinal provenaient en partie du droit dont il avait joui pendant dix ans, comme légat a latcre, de recevoir le prix de toutes les dispenses qu’il dormait au nom de la cour de Rome, et d’une pension de cinquante mille ducats, que les princes d’Italie lui payaient, à l’insu du roi, à qui ce ministre, trop vanté pour son désintéressement, en fit l’aveu au lit de mort. Le cardinal Bembo, son confrère, dit que les legs portés dans son testament s’élevaient à six mille marcs d’or. Cette somme équivaudrait à près de vingt-cinq millions de notre monnaie d’aujourd’hui. D’autres font monter la fortune de ce prélat à plus du double. Il n’était pas de la dignité du roi de condescendre à la nouvelle prétention de la cour romaine. Ce fut pour le pape un prétexte de redoubler ses plaintes contre la France, et d’appeler à son secours les Suisses, devenus ses alliés. En même temps, il fit entrer dans ses projets le roi d’Arragon, ennemi naturel de la France. Pour le détacher de la ligue, il lui donna l’investiture du royaume de Naples; et comme cette investiture obligeait le vassal à servir avec toutes scs forces son suzerain, il exigea que Ferdinand remplit cette obligation à la lettre. Ainsi, pendant que l’armée de Louis XII aidait celle de l’empereur à conquérir quelques villes sur les Vénitiens, une coalition s’était formée contre la France. On y comptait déjà le pape (1), le roi d’Arragon, les Suisses et la république de Venise, et il était à craindre que l’Angleterre ne s’y joignit. V. L’armée du pape ravageait le duché de Fer-rare, six mille Suisses se présentèrent sur la frontière septentrionale du Milanais ; et une flotte de onze galères vénitiennes, auxquelles une galère du pape s’était jointe, parut sur les côtes de Gênes. Ces trois attaques simultanées obligèrent l’armée française de quitter précipitamment les bords de l’Adige, pour accourir à la défense du Milanais. à sa malignité. (Recueil des lettres, de Louis XII, t. 1, 1>. 255.) (1) « Rex est tolus indignatus contra pontifîcem, propter ilia quæ fecit hactenas. et. quia inteicepit aliquas litleras Chaumont fut assez heureux pour faire face de tous côtés avec succès. Un petit renfort qu’il envoya au duc de Ferrare, mit ce prince en état d’arrêter la marche des troupes de l’Eglise. La descente qu’on voulut tenter sur les côtes de Gênes fut repoussée ; les mécontents de cette ville furent contenus. Chaumont lui-même, à la tête de cinq cents gendarmes et de quatre mille hommes d’infanterie (car il avait été obligé de diviser ses forces), s’avança pour fermer le passage aux Suisses, qui arrivaient par Be-linzona. Quoiqu’ils ne dissimulassent point leur ressentiment contre Louis XII, ils ne déclaraient point formellement la guerre ; mais ils demandaient fièrement le passage à travers le Milanais, pour aller, disaient-ils, au secours dcl’Eglise, et ils se mirent en marche, par la vallée qui sépare le lac Majeur du lac de Lugano, jusqu’à Varèse, où ils n’étaient plus qu’à quelques lieues de Milan. Il était à craindre qu’ils ne s’emparassent de quelque place, et qu’ils n’allassent rejoindre l’armée du pape ou celle des Vénitiens. Chaumont, avec son petit corps, les observait, les retardait, mais sans oser les attaquer. Ces six mille Suisses n’avaient point d’artillerie. 11 n’y en avait pas la moitié qui eussent des armes à feu, et on n’en comptait pas plus de quatre cents à cheval ; mais ils avaient reçu un renfort de quatre mille hommes à Varèse. Ils marchaient fort serrés, au petit pas, présentant, quand le terrain le permettait, un front de quatre-vingts ou cent hommes. On lisait sur leur étendard : Vainqueurs des rois, amis de la justice, défenseurs de la sainte église romaine. En partant de Varèse, où ils avaient séjourné quatre jours, ils ne se dirigèrent point sur Milan. Ils prirent à gauche, comme pour aller vers le territoire vénitien, passèrent à Castiglione, puis à Vedano, où ils traversèrent l’Olona près de la source ; ensuite à Appiano. Dans cette marche de plusieurs jours , ils avaient déjà beaucoup souffert. Soit que les vivres leur manquassent totalement, soit qu’ils reconnussent l’impossibilité de traverser les rivières sans attirail de pontons, ils tournèrent tout à coup vers Còme, et on vit leurs troupes se séparer pour rentrer dans les montagnes. Quoique celte diversion n’eut pas réussi, elle avait donné lieu aux Vénitiens de faire de nouveaux efforts , et ils venaient de recouvrer tout ce que les Français leur avaient enlevé dans les commencements de la campagne, à l’exception de Legnago. Ils mirent même le siège devant Vérone, mais ils y per qtias coguovit quod papa machina batur res diabolica* contra ipsum regern. » (Lettre d’André de Borgo et du docteur de Mota à Marguerite d’Autriche. Recueil des lettres de Louis XII, t. 1, p. 27tl.;