LIVRE XV. 225 avec trois mille chevaux et deux mille fantassins sur la rive gauche de la Chiese, qui coule parallèlement au lac de Garde, et, couvert par cette rivière, marcha à grandes journées vers le nord par la vallée de la Salua, entre la rivière et le lac. Les habitants de cette vallée étaient sujets de l’évèque de Trente; les montagnards sont naturellement jaloux de leurs passages; ceux-ci ne pouvaient arrêter une petite armée ; mais, pour venger leur neutralité violée, ils se mirent à harceler ces étrangers, attaquèrent à Ten l’arrière-garde et, prirent deux cents chevaux avec une partie des bagages. 11 ne fallait pas que les Vénitiens perdissent un moment, s’ils voulaient être hors de ce défilé avant que l’évèque de Trente le fermât avec ses troupes. Tous les torrents étaient débordés; il fallut construire des ponts et aplanir des chemins souvent impraticables. Parvenue à l’extrémité septentrionale du lac, l’armée eut à passer la rivière de Sarca, qui s’y jette en descendant des Alpes ; sur cette rivière était la ville d’Arco qui formait une tête de pont : le seigneur d’Arco refusa le passage. Les troupes de Mantouc avaient pris position sur la rive gauche de la Sarca, qui n’était point guéable ; on fit une feinte, 011 menaça la ville d’Arco, tandis qu’on jetait un pont au dessus, et les hauteurs qui couronnaient la rivière furent emportées l’épée à la main. Plus loin on eut à passer le mont Baldo et un nouveau combat à soutenir; dans ce passage l’armée perdit six cents chevaux, de fatigue; enfin elle se trouva entre la rive orientale du lac de Garde et l’Adige, et la petite vallée de Ca-prino la conduisit jusque dans la plaine de Vérone. Après cette belle marche, qui lui mérita de la part des Vénitiens les acclamations de la reconnaissance, et, ce qui est encore plus honorable, l’admiration du général ennemi, Gatta-Melata fondit sur la petite armée du perfide marquis de Mantoue, la dissipa, entra dans le Mantouan, et, ravageant celte principauté, s’avança jusque sur les bords du Pô. Son espoir était de s’y joindre à Pierre I.oredan,qui devait s’y trouver avec une flottille de douze galères et de plus de cent barques armées. Mais, en arrivant à l’endroit où le Pô sort du Mantouan pour entrer dans le pays de Ferrare, l’amiral, vainqueur de quelques obstacles que l’ennemi avait préparés sur son passage, s’élait vu arrêté tout à coup par une difficulté insurmontable : les eaux du fleuve baissaient à vue d’œil ; le marquis de Mantoue avait fait rompre les digues, le Pô se répandait dans les plaines, et la flotte risquait de n’avoir plus assez d’eau pour naviguer. Il fallut revirer de bord précipitamment. L’illustre Loredan en fut si afflige, qu’il en tomba malade; et sa mort, qui arriva peu de temps après, fut attribuée au chagrin que lui avait causé ce premier revers de la fortune. Il eut pour successeurs HISTOIRE DE VEM5E. deux hommes peu dignes de prendre le commandement après lui. Darius Malipier et Bernard Nava-gier perdirent toute cette flotte dans un combat qu’ils soutinrenlcontrela flotte milanaise descendue de Pavie. Quelques matelots vénitiens, conservant leur fierté dans le malheur, s’avisèrent de crier pendant qu’on les emmenait prisonniers :« Vive Saint-« Marc! mort au traître marquis de Mantoue! » Le marquis, par une basse vengeance, fit couper les mains et arracher la langue à ces malheureux. VI. Gatta-Melata, privé de ce secours sur lequel il avait compté, mais ayant délivré le Véronais des troupes du marquis de Mantouc, voulut se rapprocher de Brescia, qu’il avait laissée environnée de toute l’armée milanaise. Dans ce dessein, il reprit la route qu’il venait de franchir à travers tant d’obstacles, et se reporta au nord du lac de Garde, où il s’empara du port de Torbolé. Il n’avait pu laisser dans Brescia que six cents gendarmes et quelque infanterie. C’était bien peu pour défendre une enceinte considérable, qui renfermait deux villes, une citadelle, et plusieurs forts, dont nous avons eu occasion de faire la description, en racontant la prise de cette place par Carmagnole; mais François lïar-baro, qui en était podestat, et Christophe Donato, capitaine d’armes, surent tirer parti de la population. Au zèle avec lequel elle se porta à repousser les attaques de l’ennemi, on 11e peut que reconnaître son attachement pour scs nouveaux maîtres, juste prix d’une bonne administration et des privilèges que la république avait accordés aux habitants. Vénitiens d’origine, on n’aurait pas eu le droit d'en attendre davantage. Piccinino, lorsque Gatta-Melata lui cul échappé, forma l’investissement de Brescia, le 5octobre 1438, avec vingt mille hommes. Quelques jours après, quatre-vingt pièces de canon, parmi lesquelles il y en avait quinze qui jetaientdes pierres de trois cents livres, commencèrent à tirer sur la place et eurent bientôt endommagé des murs qui n’avaient pas été construits pour résister à l’artillerie. D’autres retranchements s’élevèrent derrière ces remparts prêts à tomber. Les citoyens, les moines, les femmes même prirent part à ces travaux, notamment une paysanne de la Valteline, qui, attachée à un aventurier, combattait à ses côtés, et imitait, du moins par ses exploits, l’illustre héroïne à qui la France était alors redevable de sa délivrance. Deux familles puissantes, celle des Avogadro et celle des Martinengo, partageaient depuis longtemps la population de cette ville en deux factions; l’éloquence et la fermeté du podestat suspendirent l’effet de ces haines domestiques. On mit dehors de la place quelques gibelins qui étaient suspects; une milice de six mille hommes 15