200 HISTOIRE DE VENISE. tution du traitement qu’il avait reçu : trop faible châtiment d’une faute si fatale à sa patrie, que d’en être banni après l’avoir compromise. Suivant l’historien Sandi, on attribua sa faiblesse à la présence d’un jeune fils qu’il avait sur sa galère; ce qui fit rendre une loi qui défendait aux généraux vénitiens d’embarquer leurs enfants avec eux. Les puissances d’Italie, et surtout le roi de Na-ples, sentirent que, si les Turcs se rendaient maîtres de toute la Grèce, et par conséquent d’une partie des rivages de l’Adriatique, on ne pourrait plus naviguer avec sûreté dans cette mer, et que peut-être ils seraient eux-mêmes tentés de la passer. Cette crainte fit naître une ligue à laquelle accédèrent successivement le pape, le roi de Naples, Ferdinand d’Arragon, le duc de Milan, le duc de Modène et les républiques de Lucqucs, de Sienne et de Florence. Pour combattre au delà de la mer, cette ligue ne pouvait offrir aux Vénitiens qu’un faible secours; aussi les Turcs faisaient-ils des progrès dans la Mo-rée. Ils s’avancèrent jusqu’aux frontières de la Dal-matie, s’élevèrent au nord du golfe, pénétrèrent dans le Frioul, et mirent à feu et à sang les environs d’Udine, qui put voir l’armée turque du haut de scs remparts. Les dangers que courait l’Allemagne méridionale, firent espérer un moment quelques secours de la part de l’cmpcrcur Frédéric 111. La république les sollicita vainement par une ambassade. La diète et Frédéric se bornèrent à de fastueuses promesses, qui restèrent sans exécution. La flotte vénitienne, forte de quarante-sept galères, ravageait pendant ce temps-ià les iles de l’Archipel. Dix-neuf galères du pape, dix-sept du roi de Naples, et deux de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, vinrent la joindre. Le plus grand exploit de celte armée fut la surprise de Smyrnc, que l'on détruisit entièrement par les flammes. Les soldats firent hommage au légat qui commandait l'escadre pontificale, de cent trente-sept tètes, pour lesquelles ils reçurent autant de ducats. Le doge Christophe Moro mourut sur ces entrefaites et fut remplacé par Nicolas Trono, vieillard de soixante-quatorze ans, qui s’était fort enrichi à Rhodes, où il avait fait le commerce pendantquinze ans, ccqui semble prouver qu’à cette époque cette profession n’était pas encore interdite aux patriciens. On évaluait sa fortune à quatre-vingt mille ducats, ce qui revient à quatre cent quatre-vingt mille francs. C’était alors une fortune notable. Rappelons-nous que,cinquante ans auparavant, ledoge Thomas Monccnigo comptait dans Venise plusieurs nobles ayant jusqu’à soixante-dix mille ducats de revenu (1471). VIII. Toutes les espérances des Vénitiens se tour- naient vers l’Orient. C’était du roi de Terse qu’ils attendaient la diversion la plus efficace. Il envoya d’abord une armée de troupes légères, qui entrèrent dans l’Asie-Mineure par la Géorgie, et ravagèrent la côte méridionale de la mer Noire, tandis que Mon-cenigo, avec sa flotte, dévastait les rives de l’Archi-pel. Ce n’était d’abord qu’une incursion, dont le pillage semblait être l’unique objet. Bientôt après cent mille hommes, partis des bords de l’Euphrate, traversèrent toute l’Asie-Mineure, vinrent battre les troupes ottomanes dans la Natolie, et s’emparèrent de plusieurs places de cette province. Cette armée n’avait point d’artillerie; il fallut que les Vénitiens lu* en envoyassent, ainsi que des munitions et des canonnicrs. Mahomet, pour ralentir les progrès de ces attaques, fit proposer la paix aux Vénitiens, peut-être sans avoir intérieurement le dessein de la conclure. 11 demandait la cession de la ville de Croye en Albanie, enlevée à son père Amurath par Scandenberg, et que celui-ci avait depuis consignée aux Vénitiens. Du reste, il offrait de remettre les choses sur le pied où elles étaient avant la guerre, sauf la conquête de Négrepont qu’il voulait retenir. Le sénat exigea la restitution de cette île, et la négociation fut rompue. 11 y a une chose remarquable dans cette négociation, c’est qu’elle fut traitée par le conseil des Dix. Ce tribunal, après avoir usurpé tant de pouvoir, s’emparait de la direction des affaires politiques. Le sultan se hâta de passer d’Europe en Asie avec une armée infectée de la peste, pour combattre les Persans, dont les troupes, commandées par le roi en personne, s’étaient grossies considérablement. Trois combats terribles eurent lieu en trois jours. Dans le premier, la cavalerie turque, forte de quarante mille hommes, fut totalement dispersée. Le lendemain, Mahomet donna une bataille générale, où il perdit plus de la moitié des siens. Le jour suivant, les Persans environnèrent son camp, et l’auraient sans doute forcé, s’ils eussent eu une artillerie comparable à la sienne. Mais le canon des Turcs fit un tel ravage, qu’il fut impossible aux assaillants de pénétrer dans le retranchement. Ces derniers essuyèrent une perte immense, se replièrent en désordre, et Ussum-Casan se retira derrière l’Euphrate, pour se préparer à une nouvelle campagne. Ce fut ainsi que se termina celle de 1475. Cette année vit mourir le doge, élevé sur le trône vingt mois auparavant ; on lui donna pour successeur Nicolas Marcello, presque octogénaire (1473). La diversion des Persans ne fut pas d’un grand secours aux Vénitiens pendant la campagne sui-vanle, parce que Mahomet eut l’adresse de susciter à l'ssum-Casan desembarras, qui dégénérèrent en