LIVRE VI. ELECTION DE PIERRE GRADENIGO.— DÉSASTRES EN ORIENT. — GUERRE CONTRE LES GÉNOIS. —1289-1299.— CONSIDÉRATIONS Sl’R LES GOUVERNEMENTS D’iTALIE Aü XIVe SIÈCLE.— REVOLUTIONS DANS LE GOUVERNEMENT DE VENISE. — CLOTURE DU GRAND-CONSEIL. — ÉTABLISSEMENT DE L’ARISTOCRATIE.—1289-1319. I. On a vu par quels procédés le gouvernement de Venise avait peu à peu diminué l’influence populaire. Ce gouvernement, purement démocratique dans son origine, était devenu tout à coup monarchique, par l’institution d’un prince à vie, qui disposait de toutes les places, et qui souvent désignait son successeur. Mais les monarchies sont de ces grands édifices qui veulent être vus de loin, pour conserver tous leurs droits au respect des hommes. Quand tous les intérêts de l’Élat, et tout l’État même, sont concentrés dans une seule ville, il est impossible que la population n’ait pas mille occasions de juger ce qui se passe sous scs yeux, de s’opposer à ce qu’elle censure, et de se croire capable de faire mieux, parce qu’elle a assez de discernement pour èlre mécontente. Il est impossible que le chef du gouvernement ne soit pas souvent irrité par la résistance, tenté de la surmonler, et quelquefois victime de ses efforts pour y parvenir. Vingt doges massacrés, ou précipités du trône, attestent combien ce Irône était un poste périlleux. Quand les hommes du peuple concouraient à la nomination du prince, il était naturel qu’ils se crussent en droit de le punir. Quand le doge ne leur demanda plus que d’ap-plaudir à son élection, ils se baissèrent pour ramasser l'argent qu’il leur faisait jeter. Lorsqu’il ne fut plus du tout leur ouvrage, ils courbèrent leurs lètcs sous ses pieds pour le porter en triomphe. Après qu’on eut établi que la nomination serait faite par un petit nombre d’éleeleurs, on ne crut cependant pas pouvoir se dispenser de faire agréer leur choix par la multitude assemblée. On proclamait devant le peuple le résultat de l’élection, et il le confirmait par scs acclamations. Jamais il ne s’était permis de désapprouver un choix ; mais ces acclamations , si faciles à obtenir, étaient un exercice de son ancien droit. Sous prétexte que ces assemblées générales étaient nécessairement tumultueuses, 011 en était venu à faire représenter le peuple par un syndic, qui d’abord donnait sa sanction au choix, qui plus lard était réduit à reconnaître le doge nommé,qui enfin n’élait plus admis que pour prêter, au nom de tous, le serment d’obéissance. La nation avait été dépouillée de ses droits, mais ce n’élait pas au proGt du prince, dont le pouvoir éprouvait tous les jours quelques nouvelles restrictions ; c’élail au profit de cette partie de la population ancienne, illustre, riche, éclairée, et par conséquent influente, qui remplissait le grand-conseil, le sénat, et toutes les places de l’administration. Ces usurpations successives avaient humilié le peuple. Un impôt, qui pesait principalement sur lui, l'avail irrité, une famine récente lui avait donné le droit d’accuser son gouvernement. Il voyait des divisions parmi ceux qui voulaient retenir le pouvoir. Quelques revers inévitables à la guerre fournissaient un prétexte pourdire que lesaffairesétaient mal conduites. Les peuples voisins faisaient fréquemment l’essai de leurs forces contre leurs magistrats. L’esprit de révolte qui s’était manifesté dans Venise, à l’occasion de l’impôt sur les farines, avait été puni, mais non pas éteint. Il n’y avait pas jusqu’aux calamités naturelles, aux tremblements de terre, aux inondations, dont on ne put tirer avan-