LIVRE II. 30 que le caractère d’une magistrature. Ou conçoit que toutes les idées de la féodalité devaient être inconnues dans une ville sans territoire, où il n’y avait jamais eu de conquérant, jamais de protecteur, jamais de protégés. Le seul corps qui existait alors dans l’État était un tribunal, dont l’origine se perd dans la nuit des temps, composé de quarante membres, et qu’on appelait par celte raison la quarantie. On ne dit pas que ce tribunal, le seul corps délibérant dont l'existence fut permanente, eût d’autres fonctions que celle de rendre la justice; mais il prit momentanément une influence politique de la plus grande importance. Devenu l'autorité principale, après l’assassinat du doge, et avant que le peuple se fût assemblé, il crut devoir faire des règlements qu’on jugea assez salutaires pour ne les trouver susceptibles d’aucune contradiction. Il s’agissait d’interdire à la multitude toute la part qu’elle avait prise jusque-là dans les affaires publiques, et de composer le corps qui devait remplacer les comices, de manière que ses délibérations ne fussent pas tumultueuses. Il fallait prévenir les désordres qui ne pouvaient manquer d’éclater pour le choix du nouveau doge, si 011 ne changeait la forme de l’élection : enfin il n’importait pas moins de modérer l’autorité du prince, et d’en régler l’exercice. Il fut décrété que, tous les ans, chacun des six quartiers de la ville nommerait deux électeurs, et que ces douze électeurs réunis choisiraient indistinctement, sur toute la masse des citoyens, quatre cent soixante-dix personnes qui formeraient un grand conseil, destiné à remplacer les assemblées générales, et à prononcer sur les principales affaires de l’État. Cependant la création de ce conseil ne fit pas cesser tout à fait les assemblées populaires. On n’osait pas encore se dispenser de consulter le peuple lorsqu’il s’agissait ou d'approuver l’élection du doge ou de décider une guerre. Tout le monde pouvait être admis à ce conseil; l’espérance d’y entrer devait se renouveler tous les ans ; le grand nombre de ses membres offrait assez de chances aux ambitions. Il parait que, dès ce temps-là, les habitants des autres villes des lagunes avaient été presque entièrement dépouillés du droit de siéger dans l’assemblée générale de l’État. L’historien Victor Sandi rapporte une ancienne charte conservée à Burano , où on lit que, dans le cas où 011 ne trouverait pas dans la capitale un nombre suflisant de citoyens aptes à composer le grand conseil, 011 y suppléera en appelant des citoyens des villes voisines; et l’on conçoit que ce cas dul se présenter bien rarement. A Venise, au contraire, la classe des citoyens distingués par leur origine, leur crédit, leur capacité, leur fortune, trouvait un avantage réel dans ces nouvelles institutions. Il n’y avait que le peuple proprement dit qui pût se plaindre de l’abolition de ces assemblées où il dominait par le nombre et trop souvent par la force : cependant, soit que la multitude fût confuse de scs propres excès, soit légèreté, soit défaut de prévoyance, elle ne mit aucune opposition à l’adoption de ce règlement. Pour limiter l’autorité du doge, il fut établi que tous les ans le grand conseil nommerait six conseillers (un pour chaque quartier), lesquels formeraient le conseil intime et nécessaire du prince, qui ne pourrait rien faire sans leur avis, et dont les ordres n’auraient force d’exécution qu’autant qu’ils seraient appuyés d’une délibération de ces six magistrats. Mais un conseil de six membres, qui pouvait être suffisant dans les affaires journalières de l’administration, n’avait pas assez d’autorité, de consistance, pour prononcer sur les grands intérêts de l’Elat; et cependant il pouvait être dangereux d’appeler toujours à la discussion de ces grands intérêts une assemblée de quatre cent soixante-dix personnes. La force des.choses avait fait sentir la nécessité d’un conseil intermédiaire, et l’usage s’était introduit que, dans les occasions où le doge jugeait nécessaire de consulter les citoyens, sans convoquer cependant l'assemblée générale des comices, il faisait prier les principaux de la ville, qu’il désignait lui-même, de venir donner leur avis sur les affaires mises en délibération. Ces conseillers désignés par le doge, convoqués spécialement pour chaque circonstance, s’appelaient les Pregadi, les priés. C’était un privilège considérable dont le doge étaiten possession, que celui dechoisir ainsi sescou-scillers : 011 l’en priva. 11 fut réglé que les quatre cent soixante-dix citoyens, représentant la nation, nommeraient, dans leur sein, soixante membres, pour former ce conseil auquel on donna le nom de sénat, et que ses membres seraient renouvelés tous les ans. Quant aux attributions de ce conseil, il est probable qu’on ne les considéra d’abord que comme délégation de l’assemblée générale, cl que toute l’autorité du sénat s’établit par prescription. Enfin l’élection du doge qui devait remplacer Vital Michieli, au lieu d’être laissée comme précédemment à l’assemblée générale du peuple, fut confiée pour cette fois à onze citoyens. C’est en cela que le peuple perdit le plus grand, le plus essentiel de scs droits; mais cetle innovation n’était pas donnée pour une règle établie. En effet, on n’était /.