500 HISTOIRE DE VENISE. Les Vénitiens préparaient les cuirs, et savaient les dorer avec une perfection telle, que la vente de ces cuirs dorés leur procurait un bénéfice évalué à cent mille ducats par an. J’ai parlé ailleurs de la réputation de leurs manufactures d’armes, tant offensives que défensives. Les préparations pharmaceutiques étaient devenues pour eux la matière d’un grand commerce extérieur, et ils furent longtemps en possession d’approvisionner de thériaque, non-seulement tous les Levantins, mais encore une partie de l’Eorope. Ils fournissaient aussi du lartre à la Hollande, do la térébenthine à la France, et faisaient uri grand commerce de ce sel connu sous le nom de borax, qui est d’un si grand usage dans la chimie, et surtout dans la métallurgie, parce qu’il a la propriété de faciliter la fonte des métaux. Cette substance, que l’on tire de l’Égyple et de la Chine, a besoin d’une préparation dont lus Vénitiens ont longtemps possédé seuls le secret. Immédiatement après que l’imprimerie eut été découverte, les presses vénitiennes devinrent célèbres dans tout le monde savant, et quoique d’autres nations aient ensuite perfectionné cet art, la librairie de Venise ne laissait pas de faire des envois considérables à Gênes, dans toute la Lombardie, dans la Bomagne et dans la Toscane. On citait dans la ville de Bassano, une imprimerie qui occupait jusqu’à quinze cents et dix-huiteents ouvriers. C’est surtout par la qualité du papier que les imprimeurs italiens, en général, ont eu constamment du désavantage dans leur concurrence avec les imprimeurs français; cependant les papeteries du Frioul, de Brescia, de Bergame, où il y en avait plus de trente, se sont maintenues jusqu’à ces derniers temps dans une heureuse activité. Les autres objets sur lesquels s’exercait l’industrie manufacturière des Vénitiens, étaient les dentelles, connues sous le nom de point de Venise, et fort recherchées, le lil d’or, les bougies, dont ils étaient en possession d’approvisionner Rome et toute l’Espagne, les liqueurs, la quincaillerie, le savon, et les raffineries de sucre, qui alimentaient toute l’Italie, et qui conservèrent toujours une grande supériorité sur celles qu’on éleva depuis à Trieste. Enfin l’art de la verrerie, que les Vénitiens avaient apporté de l’Orient, fut bientôt une des branches les plus importantes de leur commerce. Cet art nouveau fit abandonner l'usage des miroirs de métal, qui étaient à peu près les seuls que l’F.urope connut jusqu’au xv° siècle. Ce ne fut que dans le xvn» que les autres nations s'avisèrent de se livrer à un genre d’industrie dont la matière première se trouve partout. L’historien du commerce de Venise cite un manuscrit de la bibliothèque Nani, où étaient ex- pliqués les procédés de l’art de polir le verre, de le dorer, et de le peindre à l’huile. Il ajoute que dans l’église des dominicains de Trévise, il y avait un crucifix peint sur verre, et qui portait la date de 1177; ce qui prouverait que cet art était connu des Vénitiens trois cents ans avant l’époque où les Allemands se vantent de l’avoir inventé. On juge quels bénéfices immenses les Vénitiens durent faire dans cet intervalle, sur un commerce où l’objet vendu tire toute sa valeur de la main-d’œuvre, où la consommation s’accroît encore par la fragilité des objets, et où il est également facile de donner à une vile matière un prix de luxe, et de la convertir eu ustensiles de première nécessité, dont le bas prix soit à la portée de l’indigent. Aussi la ville de Mu-rano devint-elle en peu d’années un brillant magasin de glaces et de toutes sortes d’ouvrages de cristal, et depuis les plus grands rois jusqu’à la pauvre négresse, tout fut tributaire de cette manufacture. Pendant que le commerce des produits de toutes ces manufactures enrichissait la capitale, l’industrie des colonies s’exercait péniblement sur des objets infructueux. A l’erasto, dans la province de Callaro, on faisait des cordes d’instruments de musique. Dans la petite ile de ilorter, sur les côtes de la Dalmalie, les habitants, faute de lin, étaient parvenus à rouir, filer cl tisser le genêt. Ils en faisaient une toile grossière, qui attestait du moins leurs efforts. Une preuve évidente que les sujets grecs et dal-mates de la république n’étaient pas éloignés des occupations du commerce par leur paresse naturelle, mais par les lois jalouses de la métropole, c’est l’ardeur avec laquelle nous les avons vus s'y livrer, aussitôt que, dans ces derniers temps, ils eurent changé de maîtres. En moins d’un au, le nombre des bâtiments destinés à la pèche ou au cabotage se trouva doublé. XXIV. Mais un tort encore plus grave des Vénitiens fut que leur industrie s’arrêta pendant que celle de leurs rivaux faisait des progrès. A force de faire un mystère, un secret d’Étaldeleurs procédés, ils se persuadèrent à eux-mêmes qu’ils avaient réellement un secret, cl qu’il ne leur restait plus rien à apprendre:ils auraient fait pendre l’ouvrier qui aurait révélé les arcanes de sa manufacture; mais en interdisant à ces hommes toute excursion chez l’étranger, ils les privèrent du plus sùr moyen de se perfectionner. Aussi les produits de leurs fabriques ne conservèrent-ils quelque débit chez eux qu’à la faveur des lois prohibitives, et à l’extérieur que chez les peuples encore grossiers, et à cause de la modicité de leur prix. Les lois prohibitives, toujours si vivement sollicitées par le fabricant, si elles écartent la concurrence, éteignent l’émulation, et sont