124 HISTOIRE DE VENISE. humaine était déjà parvenue. On ajoute que l’auteur de cette invention en fut une des premières victimes, et qu’au moment où il disposait une de ces catapultes, elle partit et le lança lui-même au milieu de la ville qu’il voulait écraser. Ces moyens d’attaque devaient être lents, dispendieux et d’uri effet très-incertain ; l’opiniâtreté des assiégés était soutenue par les secours qui leur avaient été promis. On annonçait que le roi de Hongrie marchait, pour les délivrer, à la tête d'une armée de quatre-vingt mille hommes; son approche obligea les Vénitiens à se renfermer dans leurs lignes, et à s’y fortifier, lis y manquaient d’eau, il fallut en faire venir de Venise. Marin Falier, qui depuis fut doge, et qui avait pris le commandement du siège, fit faire des retranchements en bois en avant de son camp. Bientôt les Hongrois se déployèrent autour de l’armée vénitienne, l’attaquè-rerit avec impétuosité; mais repoussés dans plusieurs assauts donnés coup sur coup, etayant perdu sept à huit mille hommes, ils se retirèrent dans leur pays. L’armée victorieuse reprit les opérations du siège avec autant de vigueur que de constance, força les rebelles de se rendre à discrétion, après une résistance de plus de six mois, et le général usa des droits de la victoire avec une noble modération. Cette guerre, ou plutôt ce siège, coûta à la république plus de trois millions de ducats, c'est-à-dire dix-huit millions de notre monnaie. Le gouvernement se vit obligé de recourir à des emprunts forcés, répartis suivant la fortune présumée des citoyens. Puisque la république s’obstinait à vouloir garder Zara et Candie, elle aurait épargné beaucoup de sang et de trésors, en faisant construire dans ces colonies de bonnes forteresses, et en y entretenant constamment une garnison suffisante pour contenir la population. Jacques Carrare, alors seigneur de Padoue, avait fourni quelques secours aux Vénitiens pour cette guerre; il viyt à Venise, où il fut reçu avec de grands honneurs. Toute la noblesse alla à sa rencontre, et le doge lui dit : « Nous vous admettons « parmi nos concitoyens, vous et votre postérité.« Carrare, en cette qualité, prêta serment de fidélité à la république. On lui donna un festin où des vases d’or et d’argent furent étalés ; et, pour manifester sa joie, il donna la liberté à un grand nombre de ses serfs ou de ses esclaves. XIII. Le 255 janvier de l’an 1348, Venise éprouva un violent tremblement de terre dont les secousses, réitérées pendant quinze jours, renversèrent plusieurs édifices, notamment trois clochers, et répandirent la terreur parmi les habitants. On dit qu’un tremblement de terre se fit ressentir, vers la même époque, dans le royaume de Casan. A cette calamité en succéda une autre plus grande. Des Génois apportèrent en Sicile, des bords de la mer Noire, une maladie contagieuse, premier fruit peut-être du commerce avec les Turcs. La peste, car c’était ce terrible fléau, gagna la Toscane, puis le nord de l’Italie, et s’étendit jusqu’à Venise, où elle fit d’effroyables ravages; enfin elle passa les Alpes, couvrit toute l’Europe, et alla dépeupler l’Islande. On commença à la remarquer à Venise dans les premiers jours du printemps ; l’intensité du mal lit des progrès jusqu’à la fin d’avril; il se soutint à son plus haut période pendant les mois de mai et de juin. Ensuite sa fureur parut se ralentir et s’éteignit enfin peu à peu. C’est cette même peste dont Boccace a fait la description; il assure qu’elle n’emporta pas moins de cent mille personnes dans Florence. Naplcs perdit soixante mille de ses habitants ; Sienne, quatre-vingt; Gênes, quarante : on a prétendu que ce fléau avait enlevé les trois cinquièmes de la population de l’Europe. Il est fort difficile d’évaluer avec quelque précision la perte que celte calamité de six mois fit éprouver à la population de Venise. Les historiens vénitiens se bornent à nous dire que le nombre dis membres du grand-conseil se trouva réduit de 12ü0 à 380. Cela parait une exagération, parce qu’à cette époque le grand-conseil n’était pas si nombreux; mais il en résulte toujours que la noblesse perdit au moins la moitié de ses membres, et par conséquent que la population non noble dut perdre proportionnellement encore davantage. XIV. Le trône de Constantinople avait été occupé successivement par plusieurs empereurs du nom de Paléologue. Un seigneur, qui était parvenu à la haute faveur du prince, s’éleva de la charge de grand domestique à celle de général, de ministre, puis de tuteur d’un empereur en âge de minorité, puis enfin il devint son collègue et son compéli-leur : le nom de cet ambitieux était Jean Canta-cuzène. Les Génois prêtèrent leur secours au fils des Pa-léologues. Ce secours avait tous les caractères de la protection, et ils se le firent payer par de nouvelles concessions, qui consolidaient leurs établissements sur toutes les côtes de l’empire d’Orient. Théodosie avait bravé pendant deux ans toulcs les attaques du kan des Tartares. l’éra était devenue une véritable forteresse. Maîtres de l’étroit passage par lequel on pénètre dans la mer Noire, ils voulurent s’arroger, sur cette mer, la souveraineté que les Vénitiens avaient usurpée sur l’Adriatique, y percevoir des droits sur tous les vaisseaux qu’ils voudraient