170 HISTOIRE DE VENISE. affaires de ce monde. Moins on avait de dissensions chez soi, plus on était à portée de profiter de celles des autres ; aussi les conseils de la seigneurie s’appliquèrent-ils d’abord à jeter des semences de division parmi les princes voisins. II. Déjà la cession de la province de Trévise au duc d’Autriche avait brouillé ce prince avec le seigneur de l’adoue. Celui-ci, ayant étendu ses frontières jusques aux possessions du seigneur de Vérone, donna de l’ombrage à ce nouveau voisin ; les Vénitiens n’oublièrent rien pour exciter, pour encourager cette méfiance; ils fournirent des subsides à Antoine de la Scala, pour faire la guerre à François Carrare. L’un et l’autre étaient ennemis d’un voisin encore plus dangereux, Galéas Visconti, usurpateur de la principauté de Milan. La république fit un traité d’alliance avec ce duc; quelque temps après elle protégea le seigneur de Padoue contre ce même Visconti, passant ainsi sans scrupule d’un parli à l’autre, pourvu qu’elle les affaiblit tour à tour. La vacance du siège patriarcal d’Aquilée occasionna des troubles dans le Frioul ; le pape en avait donné l’administration à 1111 cardinal étranger; le seigneur de Padoue soutint les droits de l’administrateur; ce fut une raison pour les Vénitiens de protéger la ville d’Udine et quelques autres qui refusaient de le reconnaître. E11 Hongrie la mort du roi Louis, qui avait enlevé aux Vénitiens leur plus importante colonie, laissait vacante une couronne que sa fille et son neveu allaient se disputer par des crimes. La république prit parti dans ces querelles ; elles devinrent des guerres civiles, et amenèrent le démembrement des provinces de ce redoutable voisin. Il serait difficile de ne pas voir dans cette conduite le résultat d’un système arrêté dans le conseil de la seigneurie, et suivi avec persévérance. Mais la prévoyance humaine ne peut que préparer des combinaisons qui rendent les événements plus probables ; elle ne saurait les maîtriser. La fortune, qui conserve toujours ses droits, trompa plus d’une lois la prudence des Vénitiens. III. Ils avaient cédé la marche Trévisane au duc d’Autriche, pour en faire un ennemi du seigneur de Padoue. Il en arriva tout autrement. Quand les troupes de Léopold se présentèrent pour prendre possession des places, Carrare imagina toutes sortes de prétextes pour ne point en retirer les siennes. Il n’épargna ni les protestations, ni les soumissions, corrompit les généraux autrichiens, gagna du temps, brava la colère du duc ; et lorsque de nouvelles affaires attirèrent ailleurs les forces de celui-ci, le seigneur de Padoue lui proposa de terminer tous leurs différends en traitant de la vente de celte province. Léopold, dont les finances étaient épuisées, céda, pour quatre-vingt mille ducats, une possession éloignée de ses autres Etats et dans laquelle il lui était difficile de s’établir; de sorte que les Vénitiens eurent la douleur de voir leur ennemi s’agrandir et devenir aussi dangereux par sa puissance qu’il leur était odieux par son caractère. Ce marché, pour la cession du Trévisan, n’était point encore conclu, lorsque le comte de Camino, mourant sans héritiers, légua à la république les terres qu’il possédait dans cette province. On ne sait point quel motif l’y détermina : ce ne pouvait guère être l’affection ; car, dans les guerres précédentes, il s’était ligué avec les ennemis de Venise. Quoi qu’il en soit, la seigneurie jugea que quelques fiefs relevant du comté do Trévise, dont elle n’était plus souveraine, étaient une possession plus embarrassante que profitable ; elle renonça en conséquence à cette succession, qui revint au duc d’Autriche, fut comprise dans la vente qu’il fit de la marche Trévisane, et tourna encore au profit du seigneur de Padoue (1582). La république n’avait aucun moyen de s’y opposer. Venise à cette époque était ravagée parce fléau, suite inévitable dos communications fréquentes avec les peuples de l’Orient. La peste s’y était déclarée dans l’été de 1385, et durait depuis trois mois. O11 évalue à dix-neuf milie le nombre des personnes qui en moururent. Le doge Michel Moro-sini fut une des victimes; on lui donna pour successeur Antoine Renier, qui était capitaine désarmes ou sous-gouverneur à Candie. Pour réparer les pertes de la population, la république se chargea de doter les filles orphelines. L’année d’après la ville do Chiozza, détruite par tin long siège, sortit de ses ruines. Des capitaux furent consacrés à relever ses édifices, à rendre son port plus sùr et à perfectionner scs moyens de défense. De tels travaux après de si grandes calamités prouvent les ressources, l’activité de ce peuple, et honorent l’administration de ses magistrats. IV. L’accroissement de la puissance de Carrare ne devait pas moins déplaire au soigneur de Vérone qu’aux Vénitiens. Ce prince de Vérone était un bâtard de la maison de la Scala, qui avait assassiné son frère pour régner seul. A cette époque il y avait plusieurs trOnesqui n’étaient pas occupés à d'autres titres. Les couronnes de Milan, de Naples, de Hongrie, étaient portées par des assassins ou des empoisonneurs. La chaire pontificale elle-même était disputée par deux compétiteurs élus par les mêmes cardinaux. L’un, Clément VII, faisait noyer ou brûler les prélats qui tenaient pour Urbain VI, et préparait un guet-apens pour se saisir de la personne de son rival, qu’il voulait faire périr sur un