LIVRE XXI. 33!) Quoi qu’il en soit, cette mort mit tout en combustion dans Rome. Ceux que César liorgia avait 5 nn Borgia; or, il y a quelques raisons de douter de celui-ci. Je me borne à rapporter les divers témoignages. Les auteurs contemporains qui accusent le pape et le duc de Valentinois d’avoir voulu empoisonner quatre cardinaux, sont : Daniel Maffey de Voltcrre, liv. 22, dans la seconde partie de ses commentaires intitulée Anthropologie, parce qu’elle est consacrée aux hommes illustres. Cet ouvrage est dédié au pape Jules 11, grand ennemi d’Alexandre VI, mais qui, pour l’honneur du pontificat, n’aurait pas dû accréditer des hruits si injurieux à la mémoire de son prédécesseur; Onuphre Patavini de Vérone, continuateur des Vies des papes, commencées par Platiûa. Le pape Pie V agréa la dédicace de cette continuation ; Le cardinal Bembo, liv. 6 ; Paul Jovb, liv. 8, et Vie de Gonsalve; Mariana, liv. 28 ; GtllCHAHDIN, liv. 6 ; Philippe de Commiises, preuves, liv. 7. Ainsi voilà un cardinal et un évéque italiens, un jésuite espagnol, un général des troupes de l’Eglise et un ambassadeur de France qui racontent un crime abominable confirmé par deux auteurs italiens, dont deux papes semblent avoir approuvé les récits en agréant leurs dédicaces. Ces diverses narrations ne diffèrent que dans la manière d’expliquer la méprise par laquelle le poison lut versé à ceux qui l’avaient préparé. Beaucoup d’auteurs graves ont admis ce fait, entre autres : Arnoui, du Ferron, conseiller au parlement de Bordeaux et continuateur de Paul Emile ; Le chartreux Laurent Sdrino, qui écrivit des mémoires sur l’histoire de son temps et qui mourut en 1578 ; Thomas Tiiomasi (page 456), Mézeray, le père Daniel, Bayle, Ciiauffepié, Moréri, Féli bien, dans ses Entretiens sur la vie des Peintres; Duchesse,dans son Histoire des papes ; Gregorio Leti, Vie du cardinal Borgia; les auteurs de la grande Histoire universelle ; le continuateur de l’abbé Fleury. Il y a une variante importante dans la version que rapporte un autre auteur, Pierre Martyr, surnommé d’Anghicra (Lettre 264). Celui-ci n’attribue ce projet d’em-poisonnement qu’au duc de Valentinois, et croiL que le pape n’en était pas complice. C’est à peu près la version qu’a adoptée Montfaucon dans ses Monuments de la monarchie francoise, t. IV, P- 84. Toutesces versions, sauf la dernière, s’accordent en ceci, que César Borgia ayant besoin d’argent pour lever des troupes, et son père n’ayant pu lui en donner, ils imaginèrent de se défaire du cardinal Cornetto et de quelques autres, le pape étant en possession de s’emparer de la dépouille des cardinaux. Une invitation leur fut adressée pour dîner à la campagne, des bouteilles de vin avaient été préparées et envoyées d’avance. Le pape et le duc arrivèrent les premiers. Il faisait fort chaud ; ils demandèrent à boire, et on leur servit par mégarde le vin empoisonné. Alexandre en mourut le lendemain ; César Borgia en fut très-malade. On le mit, dit-on, dans le ventre d’une mule encore vivante. subjugués se déclarèrent aussitôt contre lui. Les chefs des factions puissantes, les Colonnes, les Ses cheveux et ses ongles tombèrent; sa peau se détacha de son corps, et il ne recouvra qu’au bout de dix mois une santé chancelante. Gordon remarque que celte lelation se trouve confirmée par tous les auteurs qu’il a pu consulter. Quelques jésuites, dont l’ordre, comme on sait, fut toujours dévoué à la cour de Rome, ont tâché de voiler le crime imputé à Alexandre VI, sans pouvoir dissimuler cependant que sa mort avait été occasionnée par le poison. Voltaire, qu’on ne peut pas assurément soupçonner de la même partialité, reproche (Essai sur tes mœurs) à cette anecdote le défaut de vraisemblance. Le pape ne devait pas manquer d’argent, puisque après sa mort on trouva cent mille ducats d’or dans son coffre. Quand on prépare du poison, on prend ses précautions pour éviter les méprises. Ceux qui racontent ce crime, ne rapportent les aveux d’aucun complice. Ce projet demeura impuni. Je voudrais bien savoir, ajoute-t-il, de quel venin le ventre d’une mule est l’antidote? et comment ce Borgia moribond serait il allé au Vatican prendre cent mille écus d’or ? Était-il enfermé dans sa mule quand il enleva ce trésor? On peut atténuer ces objections par les observations suivantes : L’invraisemblance du crime n’est pas telle qu’on puisse refuser d’y croire, si d’ailleurs il est d’accord avec le caractère des personnages; et ici on n’en saurait douter. L’accident de la méprise aurait dû être prévu si les scélérats prenaient toujours toutes leurs précautions. Mais un oubli, une distraction, ne sont pas des faits extraordinaires. Le pape ne manquait pas d’argent ; à la bonne heure ; mais il en fallait beaucoup à César Borgia; et l’un comme l’autre, ils étaient insatiables. On ne cite les aveux d’aucun complice'; il n’y en avait peut-être pas. On ne punit aucun coupable. Et qui punir? Le pape était mort, le duc de Valentinois mourant. D’ailleurs, de ce qu’après la mort d’Alexandre, on ne constata aucun de ses crimes par une procédure, s’ensuit-il que son règne n’avait pas été rempli par des empoisonnements et des assassinats? On ne met pas un homme empoisonné dans le ventre d’une mule. On peut l’y avoir mis dans un temps où l’on avait encore plus de préjugés qu’aujourd’hui. Enfin, comment César Borgia mourant serait-il allé au Vatican pour s’emparer du trésor de son père? Aussi n’y alla-t-il pas. Il y envoya un de ses affidés, nommé Michc-letto, qui, le poignard sur la gorge, força le cardinal Casa-Nova à lui remettre les clefs de ce trésor. Ce que Voltaire ajoute est plus concluant. Le journal de la maison Borgia, dit-il, porte que le pape, âgé de 72 ans, fut attaqué d’une fièvre tierce, qui, bientôt, devint continue et mortelle. Ce n’est pas là l’effet du poison. 11 s’agit de savoir quel est ce journal de la maison de Borgia que Voltaire nous cite. D’abord un pareil titre suffirait pour rendre l’ouvrage un peu suspect et pour permettre d’y soupçonner quelques réticences. Il faudrait ensuite s’assurer de l’existence de ce journal, et enfin connaître l’auteur pour pouvoir apprécier son témoignage.