108 HISTOIRE DE VENISE. pour le vœu public, on avait déféré la couronne ducale à Gradenigo. Les événements malheureux qui survinrent, durant les premières années de ce règne, lui fournirent une occasion naturelle de déplorer les désastres de la république, l’honneur des armes compromis, le deuil de tant de familles, et d’inculper le gouvernement, qui n’avait pas su prévenir de si cruels revers. Quand il démêla les vues du doge, et les mesures qu’il prenait pour préparer à la classe patricienne l’usurpalion du pouvoir, il vit dans Gradenigo l’ennemi le plus dangereux de la liberté; et son patriotisme, ou son zèle populaire, se confondit avec la haine irréconciliable qu’il nourrissait contre le prince. Déterminé à en délivrer la république, il fallut chercher des complices. Entre ceux qui prirent part à son dessein, l’histoire ne nomme qu’un Jean Baudoin. 11 parait qu’ils n’attendirent pas, pour éclater, que la révolution aristocratique fût entièrement consommée. On ne trouve, dans les récits qui sont venus jusqu’à nous, aucun détail sur le plan et les moyens de cetle conjuration. Elle était assez nombreuse, puisqu’on convient généralement qu’elle mit l’État en péril. Mais il ne faut pas s’attendre à trouver ces sortes de faits bien éclaircis dans l’histoire d’un gouvernement aussi ténébreux que celui de Venise. On dit que liocconio voulait forcer les portes du grand-conseil et massacrer le doge ; c’eût élé ramener la république à ces temps de violence où le peuple se faisait justice par lui-même : mais il y avait plus de cent ans que l’habitude en était perdue; et, le pouvoir ne résidant plus sur une seule tête, un projet de révolution devenait un problème plus compliqué. C’est apparemment à celui-cj que l’auteur de la chronique fait allusion, lorsqu’il raconte que plusieurs des nobles, exclus du grand-conseil, vinrent quelques jours après frapper tumultuairement à la porte de cetle assemblée, que le doge les lit introduire, arrêter, et qu’ils furent pendus le lendemain. L’imprudence des conjurés, ou la vigilance du gouvernement, ne permit pas que celte entreprise fût conduite jusqu’au jour de son exécution. Boc-conio et scs complices furent arrêtés, interrogés et exécutés dans l’intervalle de quelques heures. Une conspiration découverte affermit le gouvernement qui la punit, mais ne le réconcilie pas avec ceux dont il s’est attiré la haine. III. Dans l’aperçu que nous avons tracé des gouvernements qui se partageaient à cette époque l’Italie septentrionale, nous avons fait remarquer que les seigneursavaient conservé la principale influence dans les villes de la Lombardie et de la marche Tré-visane, et que la maison d’Este avait acquis peu à peu un pouvoir souverain sur quelques-unes de ces villes, notamment sur Ferrare. Il y avait soixante ans qu’elle y dominait, lorsque Azon d’Este mourut, laissant deux concurrents à l’héritage de son autorité, François son frère, et Frisque son fils naturel. Celui-ci implora le secours des Vénitiens, qui n’hésitèrent pas à appuyer ses prétentions, dans la vue de conserver ou d’étendre les privilèges qui avaient été accordés à leur commerce par cette maison. Ce fils était en horreur aux Ferrarais, et à juste titre, puisqu’il avait emprisonné et assassiné son père. Déterminés par leur intérêt, les Vénitiens aidèrent le bâtard parricide à recueillir le fruit de son crime. Leurs troupes, au nombre d’à peu près six mille hommes, vinrent assiéger la ville dont Frisque n’occupait que la moitié, et la citadelle qui tenait encore pour l’oncle. Le légat du pape à Bologne voulut interposer sa médiation, ou plutôt faire valoir d’anciennes prétentions que le saint-siége avait sur cette place. On n’en tint aucun compte. Les attaques furent pressées ; on donna l’assaut, une partie de la ville fut brûlée, le château fut emporté, mais cet incendie, cette violence, rendirent Frisque tellement odieux, que, tout vainqueur qu’il était, il fut obligé de sortir de Ferrare, et scs alliés se hâtèrent de prendre sous leur protection une ville qui était si fort à leur bienséance. Le sénateur l’aul Morosini cherche à justifier l’usurpation des Vénitiens, en disant dans son histoire que Frisque était né d’une Vénitienne, et qu’ayant perdu l’espoir de régner, il avait cédé ses droits à la république pour une pension de milledu-cals. Mais les habitants de cette malheureuse ville, parmi lesquels le saint-siège comptait beaucoup de partisans,députèrent à Clément V,qui résidait alors à Avignon, pour être délivrés de leurs nouveaux maîtres. Le pape ne laissa point échapper une si belle occasion de faire une acquisition importante. 11 écrivit aux Ferrarais pour les exhorter à se jeter entre les bras de l’Eglise leur mère, et envoya deux nonces pour recevoir leur serment. Ce pape, qui se nommait auparavant Bertrand de Got, était un Français, ancien archevêque de Bordeaux. Quant à ses droits sur la ville de Ferrare, je ne puis mieux faire que de laisser le pontife les exposer lui-même. Voici la bulle qu’il adressa à la commune de Ferrare. IV. « Quoique les soins pieux de l’Église, et sa tendre sollicitude pour ses enfants, s’étendent généralement sur tous, sa bénignité s’attache plus particulièrement à ceux que le malheur opprime, et que l’injustice veut arracher des bras de leur mère. Elle ne pourrait voir d'un œil d’indifférence leur misère, leurs tribulations et leur servitude. C’est sur