272 HISTOIRE DE VENISE. singulier qu’elles fussent anathématisées aprèsavoir défendu le saint-siége, tandis que celles qui l’avaient attaqué ne l’étaient pas (1485). Ces raisons ne firent aucune impression sur le saint-père. Le 2S5 mai 1485, il fulmina la bulle d’excommunication. Celte bulle ordonnait à la seigneurie de restituer, dans le délai de quinze jours, tout ce qu’elle avait conquis sur le duc de Ferrare ; faute de quoi, le doge, les patriciens, leurs sujets, la république, étaient excommuniés; tous les pays de la domination vénitienne, mcme ceux d’outre-mer, étaient mis en interdit. Défenses étaient faites d’y célébrer le service divin, d’y administrer les sacrements,même à l’article de la mort. IIétait ordonné à tout le clergé de sortir des terres de la seigneurie. Les propriétés de tous les Vénitiens étaient confisquées. Tous leurs débiteurs se trouvaient libérés de leurs dettes, et soumis à l’excommunication s’ils les acquittaient en tout ou en partie. Il était permis de courir sus aux Vénitiens armés contre Ferrare; et quiconque en égorgerait un mériterait, par cette action, l’absolution de tous ses péchés. Le doge et tous les magistrats étaient dépouillés de leurs offices, et la seigneurie de tous ses droits sur les États qu’elle possédai t. Tous les Vénitiens étaient déclarés infâmes, incapables de rendre témoignage, de tester, de succéder; leurs fils, neveux et descendants étaient exclus, jusqu’à la quatrième génération, des fonctions, bénéfices et dignités ecclésiastiques. Les étrangers étaient obligés de sortir sans délai du territoire vénitien avec leurs marchandises; il leur était défendu de commercer et de contracter avec les sujets de la république, de leur vendre des grains ou autres denrées, sous peine d’excommunication et de nullité des contrais. Il était défendu à tous gens de guerre de prendre les armes pour les Vénitiens, même quand ils s’y seraient engagés, la bulle les déliant à cet égard de leurs serments ; à tous rois ou princes de contracter aucune alliance avec la république, nonobstant tous les traités existants, qui devaient être considérés comme nuls et non avenus; enfin ordre leur était donné de faire poursuivre et saisir les personnes, les marchandises et propriétés des sujets de la seigneurie. C’était la seconde fois qu’une guerre contre Ferrare attirait l’anathème sur la république. Aussitôt que le conseil des Dix eut été informé que cette étrange bulle venait d’être affichée à Rome, il prit des précautions pour qu’elle ne put pénétrer dans les Élats vénitiens, et manda les chefs du clergé, pour leur ordonner de faire continuer partout le service divin comme à l’ordinaire, et pour leur défendre d’ouvrir aucune lettre ou paquet venant du dehors. Les ecclésiastiques absents du territoire de la république reçurent ordre d’y ren- trer. Quelques jours après, le patriarche apporta encore tout cachetés les ordres qui lui étaient adressés de Rome. Ces mesures n’empêchèrent point la bulle de transpirer; mais presque tous les ecclésiastiques obéirent au gouvernemental n’y eut que quelques moines qui professèrent la maxime que l’excommunication, même injuste, conserve son effet. On exila ces fanatiques, et après avoir assemblé les évêques, consulté des gens de loi savants dans les matières ecclésiastiques, on interjeta appel de la bulle du pape au futur concile. Cet appel fut même affiché aux portes des églises de Rome, et il en coûta la vie à quelques gardes de nuit que le pape, dans sa colère, fit pendre, en punition de leur négligence. Les prélats vénitiens qui, dans cette circonstance, se trouvaient fortuitement à Rome, se virent dans un grand embarras : s’ils ne revenaient pas dans leurs diocèses, la république confisquait leurs biens; et s’ils tentaient de s’échapper de Rome, le pape mettait leur tête à prix ou les faisait vendre comme esclaves. Après avoir repoussé avec celle vigueur les atteintes de la puissance spirituelle, il n’importait pas moins d’opposer une forte résistance aux autres armes des ennemis. VIII. Les alliés firent une diversion dans la province de Bergame, ce qui obligea l’armée qui assiégeait Ferrare de se diviser. Le duc de Lorraine resla dcvanl la place avec une partie des troupes; les autres, sous le commandement du comte Robert de Saint-Severin , allèrent défendre le Bergamasque (1485). Des deux côtés on essaya des diversions, pour attirer les forces de l’ennemi loin du point que l’on voulailaltaquer. Une flotte vénitienne exécutait des descentes sur les côtes de Naples, prenait l’importante place de Gallipoli, et en ruinait quelques autres de fond en comble. Les galères napolitaines ravageaient les côtes de la Dalmatie, sans pouvoir déterminer la flotte de Venise à lâcher prise pour les poursuivre et à se détourner de ses opérations. Ferdinand se vit obligé de rappeler son armée de la Lombardie pour défendre ses propres États. Ce mouvement répandit la consternation dans le Ferrarais. Chacun des alliés vit le moment où il allait avoir sur les bras toutes les forces des Vénitiens. Les détachements qui parcouraient les provinces de Bergame, de Brescia, de Vérone, se replièrent. La république renforça son armée par de nombreuses milices; on fit des levées dans toutes les provinces, dans Venise même, et on couvrit de barques années toutes les branches du Pô et tous ses affluents. Bientôt après, les alliés reçurent l’avis que l’escadre napolitaine avait été chassée par celle de Venise, et