322 HISTOIRE DE VENISE. Le roi s’était attendu que les efforts des ennemis se porteraient principalement sur son avant-garde, il avait en conséquence mis sous les ordres du maréchal de Gié, qui la commandait, l’élite et la plus grande partie de ses troupes. Le corps de bataille et l’arrière-garde étaient si faibles, qu’ils étaient obligés de se tenir fort près l’un de l’autre, pour être à portée de se secourir mutuellement; on n’avait pas assez de troupes pour laisser une garde au camp et une escorte aux bagages. Il arriva tout autrechose que ce qu’on avait prévu. Les ennemis n’attaquèrent point l’armée française pendant qu’elle traversait la rivière, ce qui leur aurait donné nécessairement quelque avantage. Ils passèrent immédiatement après elle. Au lieu de tenter d’arrêter l’avant-garde, ce fut l’arrière-garde qu’ils attaquèrent. Comme elle était incomparablement plus faible que le corps nombreux que le général en chef des Vénitiens menait contre elle, Charles, qui était au centre de la colonne, fut obligé de s’arrêter pour porter du secours à cette arrière-garde. Ce fut là qu’un combat fort vif s’engagea, pendant que la cavalerie légère albanaise pillait le camp, et s’emparait des tentes du roi. D’abord, la gendarmerie française fut sur le point d’être écrasée ; mais, quand le corps de bataille et l’arrière-garde furent réunis, on tint ferme. Le roi, au milieu du danger, donna le meilleur exemple, et une charge faite à propos culbuta les hommes d’armes italiens, qui ne furent secourus, ni par leur infanterie, dans laquelle le passage de la rivière avait mis quelque désordre, ni par leur cavalerie légère, uniquement occupée du partage du butin. A la tête de la .colonne, le combat fut beaucoup moins vivement engagé; les troupes du maréchal de Gié se présentèrent avec une telle résolution, que les ennemis s’arrêtèrent d’eux-mêmes dans la charge, et se retirèrent avec une perte assez médiocre. On peut juger de la vivacité du combat qui eut lieu à l’ar-rière-garde, par le nombre des morts. En moins d’une demi-heure, les Vénitiens eurent à peu près trois mille hommes hors de combat (1). La perte des Français fut infiniment moindre. Maison n’osa poursuivre les Vénitiens, qui présentaient en avant de leur camp, de l’autre côté de la rivière, une énorme ligne rangée en bataille, derrière laquelle les troupes repoussées allaient se rallier. Au lieu de continuer sa marche, l’armée royale s’arrêta tout le reste du jour, sur le terrain où elle avait combattu : elle y coucha sans tentes et sans vivres. Le roi fut obligé d’emprunter un manteau, (1) « La bataille dura à peine un quart d’heure, et la chasse trois quarts d'heure. Le nombre des morts du coté des ennemis monta à trois mille cinq cents hommes, et des et l’on recommença le lendemain avec les chefs de l’armée ennemie d’inutiles pourparlers. Enfin on sc remit en marche. On fut suivi, mais faiblement inquiété par les ennemis, et après avoir cotoyé Plaisance et traversé Vogherre, le roi rejoignit le duc d’Orléans à Asti, le huitième jour qui suivit la bataille dcFornoue. Les Vénitiens firent des réjouissances de cette bataille, comme si elle eût été pour eux une victoire. Ils sc fondaient sur ce qu'ils avaient pris tous les bagages de l’armée royale : mais une telle circonstance ne prouve rien, sinon que l’ennemi n’a pas su garder ses équipages, ou n’a pas voulu s’en occuper. l’eut-*être même, le pillage du camp fut-il le salut de l’armée française, puisqu’il empêcha la cavalerie albanaise de çombattre. D’une autre part, l’armée royale, après avoir repoussé l’ennemi, ne présentait pas l’altitude d’une armée victorieuse. « Nous n’étions point tant en h gloire, dit Commines, comme peu avant la bail taille, parce que nous voyions les ennemis près de « nous. Les prisonniers détenus par nous, étant « bien aisés à penser, car il n’y en avait point, ce « qui n’advint par aventure jamais en bataille. » Le roi ne prit ni le parti de poursuivre les confédérés, ni celui de continuer sa marche. Il resta sur le champ de bataille pendant vingt-quatre heures pour parlementer. L’armée décampa le lendemain, une heure avant le jour, sans que les trompettes sonnassent : « Et croi aussi, ajoute le témoin ocu-« laire que j’ai eu souvent occasion de citer, qu’il « n’en était aucun besoin, et puis nous tournions le « dos à nos ennemis, et prenions le chemin de sau-« veté, qui est chose bien épouvantable pour un « ost. » Ces réflexions naïves donnent une juste idée de l’état de l’armée française après ce combat. Cependant les alliés avaient troisou quatre mille morts, les Français n’en avaient guère que deux cents, et, ce qui est décisif, ils achevèrent leur marche jusque vers Asti, sans être entamés. Le signe le plus caractéristique d’une bataille gagnée, c’est d’avoir atteint le but qu’on s’était proposé. Celte journée couvrit de gloire l’armée française, et le roi en mérita une grande part. La bataille de Fornoue était gagnée ; mais l’Italie était perdue. XVIII. 11 en était de même dans le royaume de Naples. Les Français remportaient un avantage considérable sur les troupes espagnoles débarquées; mais la capitale se révoltait, la garnison française se retirait dans les forts, et le roi Ferdinand faisait son entrée dans la ville le lendemain de la bataille de nôtres, selon Commines, qui y était, il n’y eut pas 40 hommes de guerre tués et 60 ou 80 valets. » (MostfaBCOX, Monuments de la monarchie française, t. IV, p.49.)