LIVRE XVIII. 273 nomination indique scs attributions. Apparemment que depuis l’agrandissement des possessions de la république, il ne pouvait plus suffire aux affaires. Un troisième tribunal, sous le nom de nouvelle quarante civile, fut créé pour y suppléer, en 1492 ou 1494. XII. La jalousie, qui subsiste toujours entre voisins, forma une nouvelle ligue de plusieurs princes contre la république. Le duc d’Aulricbc, les évêques de Trente et de Brixcn, et les comtes André et Odcric d’Arco, déclarèrent la guerre aux Vénitiens, sous prétexte de la violation de quelques limites, du côté du pays de Cadorc. On commença par des confiscations de marchandises; on brûla de part et d’autre de malheureux villages; les Autrichiens s’emparèrent de la ville de Roveredo; ils battirent même la petite armée de la république près de Trente. Mais après quelques mois de ravages réciproques, la paix vint mettre un terme à une guerre qui n’avait point d’objet. Je remarque dans ce traité, que le duc d’Autriche s’engagea à faire réparer les dommages que les marchands vénitiens avaient éprouvés dans ses Etats, et que, pour sûreté de l’exécution de cette condition, il envoya des otages à Venise. Cette courte guerre donna lieu à un emprunt de trente mille ducats, qui fut hypothéqué sur les produits de la régie des sels. A celte époque, c’est-à-dire vers la fin du quinzième siècle, la république de Venise était parvenue au plus haut point de sa puissance ; je ne dirai pas de sa prospérité, car son commerce était déjà moins florissant : cependant il n’y avait pas, depuis Cadix jusqu’au fond des Palus-Méotides, un port qui ne fût fréquenté par les vaisseaux vénitiens. Les côtes de la Grèce et de l’Italie pouvaient, suivant l’expression d’un vieil historien , être considérées comme des faubourgs de Venise. XIII. La république possédait en Italie, outre le littoral des lagunes, formant l’ancien duché de Venise, les provinces de Bergame, de Brcscia, de Crème, de Vérone, de Vicence, de Padoue; la marche Trévisane, comprenant leFeltrin, le Bcllunois et le Cadorin, la l’olésine de Rovigo et la principauté de Ravennc; au fond du golfe, le Frioul, à l’exception d’Aquilée, et ITstrie, moins la ville de Trieste ; sur la côte orientale du golfe, Zara, Spalato et toutes les îles de la Dalmatie ; la côte d’Albanie ; dans la mer Ionienne, les fies de Zante et de Corfou; en Grèce, Lépante, Fatras; dans la Morée, Moron, Coron, Naples de Romanie et Argos; dans l’Archi-pcl, plusieurs petites fies, et divers établissements sur les côtes ; enfin, Candie et le royaume de Chypre. Ainsi, depuis l'embouchure du Pô jusqu’à l’extrémité orientale de la mer Méditerranée, elle était maîtresse de tout le littoral. A dire vrai, scs anciens voisins étaient aussi devenus plus puissants, et elle en avait dans le Turc un nouveau, qui était très-dangereux. La branche légitime d’Arragon possédait la Sicile. I.a branche bâtarde paraissait affermie sur le trône de Naples, et annonçait l’ambition de dominer en Italie. Ces Etats de Florence, de Milan, de Fcrrare, de Mantoue, avaient acquis plus de stabilité, et par conséquent plus de force. Il n’y avait que Gênes qui eût perdu l’une et l’autre. A cette époque, elle était redevenue, pour la quatrième fois, sujette du duc de Milan. S'il est vrai que ce fût un avantage pour la république de Venise d’être affranchie d’une rivalité qui lui avait coûté tant d’efforts, la sécurité qui en résultait était bien compensée par l’agrandissement de la maison d’Autriche et par l’invasion des Turcs dans l’empire d’Orient. Nous avons eu occasion de faire remarquer la diminution que la longue guerre de Lombardic avait occasionnée dans les revenus de la république. Maintenant l’observation de résultats contraires dans des circonstances opposées peut confirmer cette maxime, que ce ne sont point les conquêtes, mais le commerce et la prospérité intérieure qui font la richesse des Etats. La ligue d’Italie avait fait jouir Venise d’une assez longue paix. Ses finances s’en améliorèrent sensiblement , malgré les deux guerres passagères qu’elle eut à soutenir dans cet intervalle contre les Turcs et contre le duc de F’errare. Fin 1490, les revenus publics se trouvaient accrus à peu près d’un cinquième, c’est-à-dire qu’ils s’élevaient à environ douze cent mille ducats; ce qui ferait cinq millions deux cent mille francs de notre monnaie, en calculant le ducat à 4 fr. 5iî cent. C’était à peu près cent mille marcs d’argent ou le quart de ce que rendait la France telle qu’elle était alors, c'est-à-dire du temps de Louis XI; c’était presque autant que la somme des produits de ce même royaume du temps de Charles Vil, et même de Charles VIII. C’éfait enfin le double des revenus du duché de Milan. Il faut cependant considérer que, pour se faire une idée un peu exacte de la valeur de l'argent, il ne suffit pas de réduire les diverses dénominations des monnaies à un poids de métal ; il est encore nécessaire de comparer la valeur de ce métal avec celle des choses; du blé, par exemple. Or, pour le môme poids d’argent, on avait alors le double du blé qu’on aurait aujourd’hui; d’où il suit que la France, sous Charles VII, n’avait guère que dix-sept millions de revenus, en langage de notre temps, et quarante-sept millions sous Louis XI, après la réunion de l’Artois, de la Bourgogne, de l’Anjou, de la Provence et d’une partie de la I'icar-