280 HISTOIRE DE VENISE. pourraient êlre insufiisanles, pour effrayer les spéculateurs, il y ajouta une amende égale à la valeur des marchandises exportées, laquelle amende devait être perçue au profit de la chambre apostolique. Le gouvernement vénitien ne se crut pas obligé de tenir la main à l’exécution d'une bulle qui paralysai! son commerce; les négociants trouvèrent, dans leur avidité, des arguments pour se rassurer contre les censures de l'Église; mais quelques-uns, au moment de mourir, se rappelèrent qu’ils les avaient encourues. Le confesseur leur refusait l’absolution, il fallut faire le calcul de toutes les marchandises qu’ils avaient vendues aux infidèles, et ils se trouvaient débiteurs, envers la chambre apostolique, d’une somme qui excédait leur fortune. L’Église voulut bien se contenter de tout ce qu’ils avaient, et devint leur héritière; de sorte qu’en moins de quinze ans, la chambre apostolique se trouvait créancière de tous les capitaux du commerce, dans la ville la plus riche de l’univers. Mais il fallait obtenir l’exécution de tous ces testaments signés par des mourants, au préjudice de leurs héritiers naturels. Jean XXII, successeur de Clément V, et l’un des pontifes les plus intéressés qui se soient assis dans la chaire de Saint Pierre, envoya à Venise, en 152”2, deux nonces, avec la mission de recueillir tous les héritages dévolus au saint-siége. Ils avaient ordre d’user de l’excommunication, pour contraindre les héritiers à se dessaisir des successions, et les notaires à représenter les originaux des testaments. En peude temps, plus de deux cents personnes, parmi lesquelles on comptait des magistrats revêtus des premières dignités de la république, se virent excommuniées. Le gouvernement, après avoir consulté, avec sa gravité accoutumée, les théologiens de la république, qui désapprouvèrent cet abus du pouvoir spirituel, fil notifier aux nonces de sortir de Venise. Le saint-siége, réduit à négocier, se détermina, au bout de deux ans, à révoquer les censures prononcées par ses nonces; mais en même temps il nomma un nouveau commissaire, pour faire exécuter la bulle, et exigea que tous ceux qui avaient été atteints par l’excommunication, le doge seul excepté, comparussent à Avignon, en personne ou par procureur, pour voir régler la somme dont ils étaient débiteurs envers la chambre apostolique. L’historien, dont j’abrége le récit, ajoute qu’on ne sait pas positivement quel fut le résultat de cette bulle, mais qu’il se trouva des esprits hardis qui avancèrent hautement que ce n’était point un péché de trafiquer avec les infidèles, pourvu qu'on ne leur portât ni armes, ni munitions de guerre. Le pape s’empressa de condamner celte opinion par une nouvelle bulle de 1526, et déclara hérétiques ceux qui la professaient. Malheureusement pour le pape, il était alors engagé dans un démêlé encore plus important avec l’empereur Louis de Bavière, qui prétendait que sa couronne était indépendante du saint-siége. Jean XXII mourut, sans avoir pu parvenir ni à faire plier les Vénitiens, ni à s’accommoder avec eux. Son successeur, Benoît XII, qui était un esprit moins porté à la violence, réduisit ses prétentions à exiger que ceux qui voudraient trafiquer avec les infidèles, en toute sûreté de conscience, en obtinssent la permission du saint-siége. Ces permissions n’étaient point gratuites , car on calcula que, dans une seule année,ellesavaient rapporté à la chambre apostolique neuf mille ducats d’or. Ce ne fut qu’au commencement du quinzième siècle, que cet usage d'acheter de la cour de Rome la permission de faire légitimer ce qui était auparavant un péché, c’est-à-dire de trafiquer avec les mahométans, tomba en désuétude. Mais deux siècles après, Clément VIII imagina un autre règlement pour lever un impôt sur le commerce. Par une bulle de 1E59Î5, il défendit à tous les Italiens d’aller trafiquer dans le pays où le culte de la religion catholique ne s’exercait pas publiquement, à moins qu’ils n’en eussent obtenu la permission du saint-office, et qu’ils ne se soumissent à justifier tous les ans de l’observation du devoir pascal; ceux qui se dispenseraient de l’une ou de l’autre de ces obligations devaient être traduits à l’inquisition. Le gouvernement vénitien détourna l’effet de cette bulle, en ajoutant, le 5 septembre 1610, à ses règlements sur le saint-office, un article qui défendait de citer devant l’inquisition les sujets de la république trafiquant au delà des monts, et les déclarait justiciables seulement des tribunaux séculiers. Telles furent les entreprises de la cour romaine sur le commerce de Venise. X. Si, après avoir parcouru l’espace qu’embrassaient les spéculations des citoyens de cette république, on veut se rappeler toutesles colonies qu’elle a occupées : si ou fait attention qu’indépendamment de Conslantinople, où elle a commandé en souveraine pendant un demi-siècle, elle a possédé en propre, dans la mer Noire, Tana, Lazi et Nico-polis; dans le bassin de la I’ropontide, Héraclée, Ægos-Potamos, Radoslo et Nicomédie; sur le détroit des Dardanelles, Sestos, Abvdos et Gallipoli; dans l’intérieur des terres, en remontant l'Hèbre, Andri-nople; au fond de l’Archipel, Salouique; la majeure partie du Péloponnèse, c’est-à-dire Égine, Argos,