8 HISTOIRE DE VENISE. tiblcs de culture. Tout le sol qui n’était pas absolument ingrat fut sollicité par la main de l’homme, et fournit quelques plantes légumineuses, qui alimentèrent les marchés de la côte voisine. Les plages stériles étaient disposées pour recevoir les eaux de la mer, qui, en s’évaporant, y déposaient un sel recueilli sans travail, et par conséquent susceptible d’étre donné au plus bas prix. Les barques des insulaires le transportaient^ long des divers fleuves qui sillonnent le continent d’Italie. La pêche fournissait une grande abondance de poisson : on ne dut pas tarder à s’apercevoir qu’il était possible d’en étendre le commerce dans les pays plus éloignés, en conservant ce poisson à l’aide du sel que la nature semblait offrir d’elle-même. Tels furent les premiers objets que les habitants des lagunes eurent à fournir en échange de tout ce qui leur manquait. Tant que cette population fugitive ne fut qu’une colonie de Padoue, gouvernée par les magistrats de la métropole, elle ne dut trouver dans ce commerce que de faibles avantages : mais dès que les exilés furent devenus une nation, il y eut deux Vénéties, la Vénétie ducontinenlet la Vénétie maritime. Celle-ci, maîtresse de l’embouchure des fleuves, usa de son indépendance pour réclamer la navigation exclusive des lagunes, et dès-lors le commerce de Padoue et d’Aquilée dut déchoir au profit de la nouvelle colonie. Les ports de Grado, de Con^ cordia, puis ceux d’IIéraclée, de Caorlo, de Mala-mocco, enfin celui de Rialte, devinrent nécessairement les entrepôts de tout ce qui descendait des fleuves pour entrer dans l’Adriatique; et, d’un autre côté, les habitants de la Vénétie maritime firent tout le bénéfice du transport sur les objets que la Vénétie de terro ferme tirait d’outre-mer. Le continent se voyait sans cesse exposé à de nouveaux ravages; les lagunes étaient l’asile de la liberté; c’était encore une circonstance qui accroissait de jour en jour la prospérité des insulaires. Ils eurent à craindre non-seulement pour leur commerce, mais pour leur indépendance, lorsque le roi des OstrOgoths,Théodoric, a près avoir détrôné Od,oacrc, choisit pour sa résidence une ville de leur voisinage, en fixant le siège de son empire à Ra-venne. Cette capitale devint tout à coup le principal marché de l’Italie. Heureusement pour les Vénitiens, elle n’avait pas une marine proportionnée à ce nouveau commerce, ils en devinrent les facteurs, et Théodoric les ménagea, parce que, plus d’une fois, il eut besoin d’avoir recours à eux pour l'approvisionnement de Ravenne. Mais cette ville sévit bientôt déchue du rang où la fortune semblait l’appeler. La révolution qui expulsa les Ostrogoths de l’Italie, délivra la nouvelle république des inquiétudes que la puissance et la prospérité de Ravenne devaient lui donner. Attachée aux empereurs d’O-rient par la crainte que lui inspiraient les conquérants de l’Italie, elle dut à cette liaison, conseillée par la politique, quelques occasions de fréquenter les ports du Levant, et son commerce y obtint des concessions qui devinrent la source de sa richesse. XIII. C’est à l’époque où nous sommes arrivés qu’il faut rapporter la guerre parlaquelle les Ostrogoths furent chassés de l’Italie. Cette guerre, qui dura prèsde trente ans, illustra lesnomsde Bélisaire et de Narsès; mais les campagnes de ces grands capitaines perdraient trop sous la plume d’un abrévia-teur. Cette révolution est du nombre de ces tableaux que l’historien ne doit présenter que dans les proportions convenables, pour en faire juger toute la grandeur. Cette guerre d’ailleurs, qui décida du sort de l’Italie, n’intéressait pas immédiatement la république de Venise; ce nouvel État n’y prit a jeune part. Seulement Narsès, arrivé devant Aquilée, jugea nécessaire de faire transporter son armée à Ravenne par mer, et demanda à cet effet des vaisseaux aux Vénitiens, qui les lui fournirent avec zèle; car ils étaient intéressés à voir l’Italie sous le gouvernement des empereurs d’Orient, plutôt que sous la domination des Ostrogoths (535). Narsès passa par Rialte. Pendant son séjour, les habitants de Padoue lui envoyèrent une députation pour se plaindre des insulaires, qui leur avaient interdit la navigation des lagunes. Padoue demandait en même temps à être remise en possession de son ancien droit de souveraineté sur ces îles. Cette demande prouve que l’on ne mettait pas en doute la suprématie ou au moins la juridiction de l’empereur; mais le moment n'était pas favorable pour accueillir ces plaintes contre un État qui venait de rendre un grand service à l’empire. Narsès éluda la nécessité de prononcer, et exhorta les deux parties à la paix ou à porter leurs différends à la cour de Co'nstantinople. Bientôt les I’adouans devaient aller demander un asile à ceux qu’ils voulaient traiter en sujets. Narsès, après des succès mémorables, éprouva le sort réservé à tous ceux qui servent au loin une cour soupçonneuse. Il fut accusé, devint suspect, et se vit rappelé d’une manière outrageante; car on lui annonçait, dit-on, que pour ne pas le laisser sans occupation dans le palais, on lui donnerait le soin de distribuer leiil aux femmes. Indigné de ces mépris, il licencia la plus grande partie de ses troupes, ne remit à Longin, son successeur, qu’une armée peu considérable, et appela en Italie Alboin, roi des Lombards. XIV .Cette nouvelle irruption sépara pour toujours l'Italie de l’empire d’Orient. Les Lombards, qui venaient de la Pannonie comme tous les autres bar-