13« HISTOIRE DE VENISE. percur Charles IV refusa cette investiture, en ajoutant qu’il ne pouvait approuver que les Vénitiens se fussent établis, sans son aveu, dans une province qui relevait de la couronne impériale. Ainsi les Vénitiens avaient manifesté leurs scrupules sur la légitimité de leur possession, leurs craintes sur sa solidité ; et ils avaient reconnu que cette province relevait de l'empire, sans obtenir même la permission de se dire les vassaux de l’empereur. Les ambassadeurs qui avaient été envoyés à la cour de ce prince, éprouvèrent, en revenant à Venise, un nouvel outrage, Par une indigne violation des droits les plus sacrés, le duc d’Autriche les fit arrêter comme ils traversaient ses États (1360). VI. Telle était la situalion de Venise en 1360, c’est-à-dire environ quarante ans après le changement opéré dans sa constitution. Il ne serait pas juste d’attribuer tous ses malheurs à cette seule cause, mais une partie en dérivait évidemment, et il faut au moins convenir que la fortune n’avait pas pris soin de justifier cette révolution, qui avait remis le pouvoir aux mains de l’aristocratie. Immédiatement avant ce changement, la république avait forcé tous les peuples de l’Italie à reconnaître son droit de souveraineté sur l’Adriatique. Dès que Pierre Gradcnigo fut monté sur le trône, les désastres se succédèrent. Le patriarche d’Aquilée insulta impunément la république. Ellc-perdit ses établissements en Syrie. Les Génois détruisirent ou prirent des flottes entières à Curzola, à Gallipoli, à Sapienza. Ils firent trembler Venise au fond de l’Adriatique, et obligèrent sa population à rester sous les armes. Ils dictèrent un traité à la seigneurie. Trois conspirations la mirent en péril. Deux révoltes, une peste, survinrent après un anathème qui séparait Venise de la communion des chrétiens. Le gouvernement se déshonora par son injustice dans l’usurpation de Ferrare. Ses ambassadeurs furent humiliés à Gènes, où ils achetèrent la paix ; à Avignon, où ils essuyèrent sans murmurer les outrages de la suite du pape; à la cour de Hongrie, où ils signèrent, après avoir souvent imploré la paix sans l’obtenir, l’abandon de la plus belle province de la république; à la cour impériale, où on ne daigna pas même recevoir leurs hommages;enfin en Autriche, où on les retint deux ans en prison, malgré les instances de la seigneurie, réduite à solliciter leur liberté. A cette époque si malheureuse, la peste qui avait dévasté l’Europe douze ans auparavant, la parcourait encore ; mais cette fois elle descendait du nord au midi. Cette maladie, qui venait de moissonner à Avignon neuf membres du sacré collège, fut apportée en Italie par des soldats, et s’étendit sur Venise, où elle fit cependant moins de ravages que celle de 1348. Il était triste pour Jean Delfino d’avoir été élevé au dogat, pour avoir le malheurd’attacher son nom au traité de Zara : il en eut un violent chagrin ; il éprouva bientôt après la perte de la vue, et mourut le 11 juillet 1361. VII. Le malheur des temps amena des institutions dont on est peut-être dispensé de faire honneur à la sagesse des législateurs. Les calamités publiques avaient renversé la plupart des fortunes particulières : le luxe dut exciter de l’indignation. On porta des lois somptuaires qui réglaient la table, les habits et les principales dépenses des citoyens de tous les rangs. Des magistrats furent institués spécialement pour faire observer ces règlements ; et quoique les changements opérés dans les mœurs aient quelquefois suspendu momentanément l’empire de ces lois, elles n’ont pas cessé d’exister, et on y est toujours revenu après les avoir violées. Ce fut une chose importante, pour le salut de l’aristocratie, que de mettre les privilégiés dans l’impuissance d’étaler un faste qui aurait décelé leur vanité : la vanité excite la jalousie, et la jalousie est un premier pas vers la révolte. « Le luxe, disait Paul Sarpi, serait bon, s’il n’était que pour le riche et ne désemplissait que des vaisseaux trop pleins ; mais souffrir un luxe général, c’est prendre tous les jours des remèdes au lieu de nourriture; celui qui par vanité fait plus qu’il ne peut, finit par faire plus qu’il ne devrait. » Il y a des historiens qui placent à cette époque la loi qui interdit le commerce aux patriciens; mais on n’est pas d’accord sur sa date. Ce règlement devait avoir deux effets remarquables : de consoler les roturiers, et de maintenir parmi les nobles cette modération que les sages recommandent aux dépositaires du pouvoir dans le gouvernement de plusieurs. Il n’eût pas été juste que les patriciens, en même temps qu’ils excluaient les citoyens de l’autorité, voulussent être admis au partage de tous les profits de l’industrie ; ils y auraient eu trop d’avantages sur les autres. Le commerce veut de l’égalité. Les patriciens, en se privant de cette ressource, curent un prétexte de plus pour se réserver tous les emplois publics, ce qui affermit le gouvernement aristocratique. Mais faute de moyens pour réparer ou pour agrandir leurs fortunes, la plupart tombèrent dans la médiocrité et dans le besoin, ce qui amena les choses au point où voulaient en venir les familles puissantes, à l’oligarchie. Si le commerce peut en un instant procurer des richesses immenses, il peut les enlever de même; ce sont deux extrémités éga-