LIVRE XI. Celte explication du fait était naturelle; le soupçon ne l’était pas; mais un tribunal qui compte pour des preuves les aveux arrachés par la torture, ne peut pas admettre les déclarations d’un accusé qui se disculpe. Une autre maxime particulière à ce tribunal était que, dans le doute, le plus sûr est de juger à la rigueur. En conséquence le héros couvert de blessures, qui avait porté si haut la gloire du nom vénitien, fut déclaré coupable, dépouillé de toutes ses charges, et condamné à deux ans de prison. Il en avait alors soixante-douze. Cet odieux jugement ajouta à la gloire de Zéno, qui, sans écouler les murmures qui s’élevaient en sa faveur, subit noblement sa sentence, et montra qu’il n’était pas moins grand citoyen que grand capitaine, sous le plus ingrat des gouvernements. XXXII. Telle fut l’issue de cette guerre dans laquelle la maison de Visconti ne recouvra pas même sa tranquillité, et qui procura aux Vénitiens, ses alliés, l’acquisition de Bellune, de Peltre, de Vi-cence, de Vérone, dePadoue et de Rovigo, c’est-à-dire à peu près tout le pays renfermé entre la Piave, les montagnes, le lac de Garde, le Pô et les lagunes. Seulement Rovigo pouvait être rachetée par le marquis de Ferrare, pour quatre-vingt mille ducats. Ces conquêtes si importantes n’avaient coûté que de l’argent. Pas une goutte de sang vénitien n’avait été versée ; car, à l’exception de la flottille , les armées n’étaient composées que de mercenaires élrangers; mais il avait fallu leur prodiguer les tré- sors. En 1404, le gouvernement fut obligé de créer de nouvelles rentes, c’est-à-dire de faire un emprunt pour soudoyerces troupes. L’année suivante, immédiatement après l’occupation de Vérone, on en ouvrit un nouveau dont le prompt succès prouva combien on comptait sur la durée de ces prospérités. Ces expédients ne suffisant pas, on imagina une opé-! ration sur les monnaies de l’adoue qu’on soumit à une refonte; mais les renseignements nous manquent pour expliquer en quoi consistait cette opération. On en fit une bien autrement importante sur les grains : le gouvernement s’en réserva le monopole et le droit d’en fixer le prix. Enfin toutes les évaluations portent la dépense de ces deux campagnes à deux millions de ducats d'or. On fit cependant, vers celte époque, quelques dépenses publiques assez considérables. Les places de Rialte et de Saint-Marc furent pavées de grandes pierres. La tour de l’horloge, qui est devant l’église Saint-Marc, et qui avait été consumée pendant une illumination de réjouissance, fut rebâtie. La façade du palais ducal, du côté du midi, fut achevée. Cette acquisition d'un territoire considérable, dans le continent de l’Italie, accroissait sans doute les ressources et la puissance de la république; mais d’une autre part elle changeait la nalure de ses rapports avec scs voisins, nécessitait un autre emploi de scs forces, et devait pnr conséquent détourner une partie des capitaux et des bras que réclamaient la marine et les colonies.