570 HISTOIRE DE VENISE. de détourner le cours delà Brenta; mais les niveaux se trouvèrent mal pris, et les travaux qu’on avait commencés furent abandonnés comme inutiles. La nouvelle attaque des assiégeants était dirigée vers un bastion, voisin de la porte de Gadalunga, par où l’on sort de Padoue pour aller à Venise. Les assiégés faisaient de fréquentes sorties, mais les combats se donnaient au pied du rempart ; car l’empereur avait placé son quartier-général à demi-portée du canon. Il donnait l’exemple de la bravoure et de l'activité. Dès le neuvième jour, ses batteries eurent lancé plus de vingt mille boulets; trois brèches, qu’elles avaient ouvertes, n’en firent bientôt plus qu’une, où mille hommes pouvaient passer de front. On donna d’abord deux assauts, qui furent repoussés avec vigueur. Le troisième, encore plus meurtrier, fut soutenu non moins vaillamment. Le drapeau impérial fut arboré un moment sur la brèche; mais les Espagnols, à qui 011 attribue l’hon-neurde l’avoir planté, sautèrent en l’air, par l’explosion d’une mine. Les assiégés accoururent aussitôt parmi les décombres, et culbutèrent le reste des assaillants. Dans tous ces assauts on n’avait, suivanll’usage, commandé que l’infanterie. Maximilien en voulut faire donner un autre par la gendarmerie française, et écrivit au général de se tenir prêt. « Lors eussiez « vu une chose merveilleuse, car les prestresestoient ii retenus à poids d’or à confesser, pour ce que chas-ii cun se vouloit mettre en bon état, et y avoit plu-ii sieurs gendarmes qui leur bailloient leur bourse « à garder, et pour cela ne faut faire nul double que « les prestres n’eussent bien voulu que cculx dont ii ils avoient l’argent en garde feussent demeurez à ii l’assault. » La Palisse assembla les capitaines, et quand ils furent arrivés à son logis, il leur dit : « Messei-ii gneurs, il faut dîner, car j’ai quelque chose à vous « dire, qui, si je vous le disois par aventure, ne fe-ii riez-vous pas bonne chère. Après le dîner, la I’a-« lisse communiqua la lettre de l’empereur, qui fut ii lue deux fois, pour mieux l’entendre; laquelle « ouye, chascun se regarda l’un l’autre en riant, « pour voir qui commenceroit la parole. Si, dit le ii seigneur d’Imbercourt, il ne faut pas tant songer. « Monseigneur, mandez à l’empereur que nous som-« mes touls prêts; il m’ennuie déjà aux champs, « car les nuits sont froides, et puis les bons vins h commencent à nous faillir ; dont chascun se preint « à rire. Tous s’accordaient au propos du seigneur « d’Imbercourt. La Palisse regarda le chevalier « Iîayard, et veit qu’il faisoit semblant de se curer ii les dents, comme s’il n’avoit pas entendu. Si, lui ii dit en riant, ch! puis, l’IIercule de la France, « qu’en dites-vous? Il n’est pas temps de se curer « les dents ; il faut répondre à celte heure prompte-ii ment à l’empereur. Le bon chevalier, qui toujours « étoit coutuinier de gaudir joyeusement, répondit : « Si nous voulons trestouts croire monseigneur de « Imbercourt, il ne faut qu’aller droit à la brèche; « mais, parce que c’est un passe-temps assez fà-« cheux à hommes d’armes d’aller à pied, je m’en ii excuserois volontiers. Toutefois, puisqu’il faut ii que j’en dise mon opinion, je le ferai. L’empereur « mande que vous fassiez mettre tous les gentils-« hommes françois à pied, pour donner l’assault avec ii ses lansquenets. De moi, combien que je n’aye « guères de bien en ce monde, toutefois je suis gen-« tilhomme ; touts vous autres, messeigneurs, estes ii gros seigneurs et de grosses maisons, et si font ii beaucoup de nos gendarmes ; pense l’empereur h que ce soit chose raisonnable de mettre tant de h noblesse en péril et hasard avec des piétons, dont « l’un est cordonnier, l’autre boulanger, et gens « méchaniqucs, qui n’ont leur honneur en si grosse K recommandation que gentilshommes? c’est re-ii garder trop petitement à lui, sauf sa grâce. Mon ii avis est que vous, monseigneur, devez rendre ré-« ponse à l’empereur, qui sera telle, que vous avez h fait assembler vos capitaines, qui sont très-déli-« bérés de faire son commandement : qu’il entend « assez que le roi leur maître n’a point de gens en ii ses ordonnances qui ne soient gentilshommes ; de « les mêler parmi des gens de pied, qui sont de pe-ii tite condition, scroit peu faire d’estime d’eux; ii mais qu’il a force comtes, seigneurs et gentils-« hommes d’Allemagne, qu’il les fasse mettre à pied « avec les gendarmes de France, qui volontiers leur ii montreront le chemin; puis viendront les lans-« quenets s’ils trouvent qu’il y fasse bon. » Les gendarmes allemands, non moins scrupuleux sur leurs droits, répondirent à leur tour, qu’ils étaient venus pour combattre dans l’équipage qui convenait à leur naissance; l’assaut ne fut pas donné. Tels étaient les préjugés du temps. L’empereur, toujours prompt à abandonner ses entreprises, leva le siège le seizième jour, et partit la nuit suivante pour l’Allemagne. XVII. Padoue était délivrée, mais la province était ruinée, « car au dict Padouan fut porté dom- ii mage de deux millions d’escus, tant en meubles « qu’en maisons et palais bruslés et détruits. » En partant, Maximilien fil proposer une Irève aux Vénitiens, qui, dans l’ivresse de leur joie, la refusèrent, et, profitant de sa retraite, se jetèrent sur plusieurs petites places qu’ils enlevèrent facilement. Basciano, Feltre, Cividal, furent reconquises : le château de la Scala fut emporté d’assaut; celui de Moncelice fut surpris; les soldats de la garnison se