LIVRE XXI. Plus le roi avait d’affaires en Italie, plus l’alliance du pape lui devenait nécessaire, plus celui-ci pouvait espérer que son fils s’agrandirait sous la protection d’un prince si puissant. On vantait fort la modération et le désintéressement du premier ministre; mais un homme qui était évêque depuis l’âge de quatorzeans ne pouvait guère se croire parvenu au terme de sa fortune ecclésiastique. Louis XII ne crut pas avoir suffisamment récompensé la fidélité de George d’Amboise en lui donnant l'archevêché de Rouen, et en le plaçant à la tête de ses conseils; il demanda pour ce ministre la pourpre romaine, qu’Alexandre VI s’empressa d’accorder, comme si elle eut été le prix de l’élévation de César Borgia. Une commission de trois évêques fut nommée par le pape, pour juger les moyens sur lesquels on fondait la nullitédu mariage du roi. Ces moyens étaient: 1° la parenté, parce qu'en effet le mari et la femme descendaient de Charles V; Louis XI et son gendre étaient cousins issus de germains; 2° l'affinité spirituelle, c’est-à-dire que Louis'XII avait été tenu sur les fonts baptismaux par son beau-père; mais l’un et l’autre empêchement avaient été levés, lors du mariage, par une dispense du légat du pape; 5° la violence qui avait été faite au roi pour contracter cette union : il est bien certain qu'il ne l'avait pas contractée sans répugnance ; mais le fait de la violence n’était nullement établi ; 4° la difformité de la princesse, qui la rendait inhabile au mariage. Les commissaires firent une information juridique. Ils ordonnèrent une visite de matrones, à laquelle la reine indignée se refusa fermement. Ils lui firent subir un interrogatoire; ils interrogèrent même le roi ; et si la reine, comme épouse outragée, eut à rougir de cette procédure, Louis XII ne dut pas comparaître avec moins de honte devant trois évêques, qui exigeaient de lui le serment de dire la vérité (1). Enfin, cette odieuse procédure se termina par une sentence dans laquelle les Irois évêques déclaraient, ayant Dieu devant les yeux, que le mariage du roi était et avait toujours élé nul ; et on y ajouta celte clause dérisoire, que, quant aux dommages et intérêts, la reine en demeurait déchargée. Si la raison d’État avait exigé réellement le second mariage de Louis XII, on devait au moins (1) Ou peut voir an trésor dos Charles celle singulière procédure, pour dissoudre un mariage formé depuis vingt-deux ans. Le procureur du roi y déclare u que le roi Louis XI avoit par terreur, môme par contrainte, forcé » Louis, non pubère, de faire ce mariage, le menaçant de » mort et de le noyer; que ledit roi en usoil ainsi » envers ses sujets qui ne faisoienl pas ce qu'il vouloil.» éviter le scandale public, la honte du roi, l'humiliation d’une femme irréprochable. Ce fut le sentiment que manifesta sur cette affaire le peuple, qui s’est toujours montré le plus délicat sur les convenances. On en murmura, et des orateurs populaires firent retentir la chaire évangélique de leurs déclamations. Louis XII était impatient; la reine Anne, qui, comme on l’a vu, avait laissé sacrifier les intérêts de son duché dans son premier conlrat, se montra ccltc fois plus avisée. « Ce lut chose impossible à « dire et croire combien cette bonne princesse print « de desplaisir de la mort du roi. Car elle se vestit h de noir, combien que les roynes portent le deuil « en blanc, et fusl deux jours sans rien prendre ni « manger, ni dormir une seule heure,ne respondan1 « aullre chose à ceux qui parloient à elle, sinon « qu’elle avoit résolu de prendre le chemin de son « mari (1). » Le chemin qu’elle prit lut celui de la Bretagne, où elle se hâta de publier des édits, de frapper des monnaies, d’assembler les ordres de la province. Louis XII, qui avait élé forl inquiet de sa douleur, fut encore plus alarmé de son départ. On dit que dès sa première entrevue avec elle, après la mort de Charles VIII, il lui avait rappelé ces sentiments dont il l’avait autrefois entretenue. A en croire Brantôme, elle n’avait pas attendu celle déclaration pour y penser ; et sentant bien qu’il n’y avait que LouisXIl qui put la replacer sur le Irôriedc France, elle n’avait rien négligé pour fomenter encore un peu ses anciens sentiments dans sa poitrine échauffée. Cependant elle n’en partit pas moins.pour son duché et se garda bien de laisser apercevoir l’intention de revenir. Les messages se succédèrent; la princesse montra d’abord de grands scrupules, et en effet on pouvait en avoir à moins. Cependant les messagers mirent une telle activité dans leurs négociations, qu’en peu de jours Anne eut accepté la proposition de se remarier au successeur du feu roi. Mais il fallait que ce prince obtint préalablement la cassation de son premier mariage. La duchesse exigea en attendant qu’il lui rendit les places fortes qu’il tenait en Bretagne. La longueur de la procédure ne s'accordant pas avec l’impatience de Louis, la sentence des évêques n’était pas encore prononcée qu’il sollicitait les dispenses du pape pour son second mariage. La cupidité des Borgia (Tome VIII de Vlnventaire miscellanea, folio 417.) Quant au moyen tiré de ce que Louis était loin d’élre impubère, lorsqu’il avait épousé Jeanne, on peut faire observer qu’il était né le Tt juin 1462, et qu’en 1478, époque de son mariage, il avait atteint quatorze ans. (2) Bertrand d’Argbstrî, Histoire de Bretagne.