LIVRE XV. 223 une bibliothèque, prêtant des fonds à l’État. La république accueillait cet étranger, non-seulement avec le respect dû à son nom et au malheur, mais encore avec un intérêt qu’on pouvait prendre pour un encouragement donné à son ambition. Le gouvernement vénitien ne tarda pas à déceler sa partialité; car, quelques années après, Cosme de Médicis ayant été rappelé, et les chefs de la faction contraire ayant été bannis à leur tour, ceux qui se réfugièrent à Venise y furent arrêtés et envoyés sous escorte à Florence. On se demanda si la république, qui violait ainsi les droits de l’hospitalité, était vendue à la faction des Médicis, ou si, en leur livrant des victimes, elle ne voulait que jeter dans Florence de nouvelles semences de division. Le duc de Milan, qui n’avait pas trouvé dans Eugène IV la protection que lui avait constamment accordée Martin V, prédécesseur de ce pontife, appuyait les révoltés de Bologne et les mécontents de Rome. Le pape s’était réfugié à Florence. De là il avait suscité des embarras à son ennemi, en encourageant les Génois à la révolte. Ceux-ci avaient massacré leur gouverneur, chassé la garnison milanaise, et arboré l’étendard de la liberté. Ainsi d’un côté on voyait le roi Alphonse d’Ar-ragon, les Génois, les Florentins et le pape Eugène; de l’autre les partisans de René d’Anjou, la ville de Bologne, le duc de Milan et le concile de Bâle. Les Vénitiens ne pouvaient demeurer spectateurs immobiles de ces différends. Ils saisirent l’occasion ou le prétexte d’une insulte faite par le peuple de Bologne à leur résident, pour se déclarer en faveur •lu pape, jetèrent en prison tous les Bolonais qui se trouvaient sur le territoire de la république et confisquèrent leurs propriétés. La seigneurie déclara en même temps qu’elle appuierait les efforts des Génois pour leur indépendance. Ces résolutions belliqueuses de la république étaient fort encouragées par les F'Iorenlins. Cosme de Médicis fit, dans cette circonstance, un prêt de lo,000 ducats au gouvernement; ce qui prouve le mauvais état des finances vénitiennes à cette époque, et la richesse de cet illustre exilé. 11 ne faut pas s’étonner de voir la république faire des emprunts ; la guerre de Lombardie lui avait coûté sept millions de ducats, et depuis 1424 jusqu’au commencement de 1437, la dette publique s’était accrue de quatre. Le duc, avant de déclarer ouvertement la guerre aux Vénitiens, s’appliqua à leur susciter des embarras. D’abord il fit agir auprès du concile l’ancien patriarche d’Aquilée, Louis de Tec, qui avait à se plaindre d’avoir été dépossédé par la république de ses Étals du Frioul. Le concile accueillit favorable- ment une plainte dirigée contre un gouvernement qui s’était déclaré pour le pape Eugène. Un décret du 22 décembre 143S ordonna aux Vénitiens d’évacuer le Frioul et d’établir le patriarche dans tous ses droits, sous peine d’excommunication et d’interdit. Cette menace obligea la république à mettre delà prudence dans son refus; elle lie pouvait pas méconnaître l’autorité du concile, car elle avait laissé son clergé y envoyer des députés. On répondit à la sommation qu’on était disposé à rendre le Frioul au patriarche, aussitôt que le rétablissement de la paix générale en Italie permettrait de s’en dessaisir. Celte réponse évitait l’excommunication, et il fallut bien que le concile s’en contentât, n’ayant aucun moyen de reprendre le Frioul à main armée. Trois ou quatre ans après le patriarche mourut; les Vénitiens, favorisés par le pape, firent nommer à sa place un de leurs protégés, qui oublia les réclamations de son prédécesseur. En 1436 le duc de Milan fit reparaître en Italie le dernier rejeton de la famille des Carrare, Marsile, fils de ce François II mis à mort à Venise en 1406, contre le droit des gens. Marsile était depuis trente ans réfugié en Allemagne. Visconli lui lit entrevoir l’espérance de ressaisir la principauté de l’adoue, lui ménagea quelques intelligences dans cette place, lui promit le secours de quelques troupes milanaises, qu’on fit avancer vers la frontière, et le détermina à venir se mettre à la tète de ses partisans. La vigilance du gouvernement vénitien ne permit pas que ce complot restât ignoré. Carrare était déjà dans les montagnes du pays de Viccnce. 11 y fut arrêté par des paysans, conduit à Padouc, où on le promena dans les rues chargé de chaînes, et ensuite à Venise, où le conseil des Dix se hâta d’éteindre totalement cette race ennemie. 111. 11 n’y avait pas loin de ces actes d’inimitié réciproque à une guerre ouverte. Les Vénitiens la déclarèrent à Philippe-Marie. Ils auraient bien voulu pouvoir en confier la conduite à François Sforce, alors brouillé avec le duc de Milan, qui l’avait trompé, après lui avoir promis en mariage Blanche, sa fille naturelle et son héritière. Mais ce général commandait dans ce moment les troupes des Florentins, qui ne voulurent point le céder à la république. Ce refus occasionna quelque froideur entre les deux gouvernements. Celui de Venise donna la patente de capitaine-général à François de Gonzague, seigneur de Mantoue, dont la principauté venait d’être érigée en marquisat par l’empereur, mais qui ne montra dans cette guerre ni talents ni même fidélité (1437). 11 avait en tète I’iccinino, général de l’armée du duc de Milan. La partie n’était pas égale ; celui-ci était un homme de guerre de la plus grande réputa-