28 HISTOIRE DE VENISE. cette ville, en lui donnant le territoire de Loredo. On s’était raccommodé avec l’empereur. Cavarzéré était rentrée sous l’autorité de la république, avec son nouveau territoire, de manière que ce différend avait fini par une espèce de conquête. Il y avait à peu près trente ans que Venise en jouissait, lorsque la ville d’Adria essaya de faire valoir quelques prétentions qu’elle croyait avoir sur le Lorédan. Les habitants d’Adria commencèrent par une invasion. Le doge marcha contre eux, les défit entièrement, assiégea leur ville, la prit, et la ruina pour jamais. L’évêque et les principaux citoyens furent contraints d’aller à Venise signer une renonciation formelle à toutes prétentions sur le territoire en litige. XXVI. Les nouveaux domaines de la république ne pouvaient manquer d’appeler l’attention du doge. Mulcimir, roi des Croates, quoique son beau-frère, profila du moment où les Vénitiens étaient occupés dans le Lorédan, pour mettre le siège devant Zara. Othon parut presque aussitôt à l’entrée du port, débarqua ses troupes, livra bataille aux Croates, remporta une victoire décisive, et força son beau-frère à lui demander la paix. Une protection si efficace, accordée si vite et de si loin, devait lui attacher les peuples de la Dal-matie. Il montra sa flotte dans leurs diverses îles, visita leurs villes principales, gagnant partout les cœurs par son affabilité, et rentra dans Venise où le malheur l’attendait. XXVII. Il régnait déjà depuis vingt ans, il avait fait admirersonactivitéet son courage, et l’on ne pouvait que bénir sa modération; cependant des factieux entreprirent de le chasser du trône et y réussirent. Un homme d’une famille considérable, Dominique Flabenigo, se mit à leur tète, pour accuser de tyrannie celui qui avait exercé d’une manière si digne d’éloges un pouvoir dont l’origine était si légitime; ils le surprirent dans son palais, lui rasèrent la barbe, et l’envoyèrent en exil (1026). Venise dut être indignée de cet attentat, qui la privait de l’un des meilleurs princes qui l’eussent gouvernée ; cependant, grâce aux nombreux exemples qu’on en avait vus, tel était l’effet d’une déposition, même illégale, que l’on s’assembla pour procéder a une nouvelle élection. Le chef des factieux ne profita point cette fois de son crime. Les suffrages publics déférèrent la couronne ducale à Pierre Centranigo, qui était de la famille des Barbolani. XXN III. Déjà les barbolani s’etaient montrés dans les factions; le massacre d’un doge, de Pierre Tradenigo, les avait signalés cent ans auparavant. Cette famille avait été exilée de la république. On rapprocha toutes ces circonstances, et on en conclut, justement ou non, que le nouveau doge n’a- vait pas été étranger à la révolution qui l’appelait au trône. Il n’en fallut pas davantage pour indispa ser les esprits contre lui. Son mérite et sa modéra tion ne purent jamais les lui concilier. Il eut beau gouverner avec prudence ; il eut beau réprima deux fois avec fermeté les entreprises toujours renaissantes du patriarche d’Aquilée sur Grado : ou conspira contre lui. A la tête de cette nouvelle con-juration était le patriarche de Grado, l’un des frères du doge déposé. Il s’était enfui à la nouvelle dt la dernière révolution ; Centranigo l’avait rappelé, lui avait fait reprendre possession de son siège, lui avait donné toutes les sûretés possibles, sans que ces procédés pussent éteindre les désirs de vengeance dans le cœur du patriarche. Il entretint les rumeurs populaires, fomenta le mécontentemenl, et parvint à exciter une nouvelle sédition, dans la-P quelle le doge, après quatre ans de règne, fut dé- ■* posé, revêtu d’un froc, et jeté dans un monastère. Tous les vœux rappelaient Othon, tous les cœurs ' étaient pour cette famille.Othon n’avait point dégénéré de son illustre père. On envoyait des ambassadeurs pour le ramener de Constantinople, où il s’était retiré. Le patriarche venait d’être chargé de l'exercice provisoire de l’autorité jusqu’à l'arrivée du doge; il faisait déclarer traître à la patrie lechel des factieux qui avaient détrôné son frère; Dominique Flabenigo était en fuite. Qui l’eût dit que ce factieux, ce traître, allait être investi légalement du pouvoir; que cette illustre famille touchait au moment de se déshonorer et d’être proscrite pour jamais? L’histoire est faite pour donner de graves leçons à la prudence humaine. XXIX. Les ambassadeurs qui allaient chercher Othon le trouvèrent mort. Le patriarche au désespoir abandonna le gouvernement. On allait s’occuper d’une nouvelle nomination, lorsque leur troisième frère, Dominique Urseolo, entreprit de 1 s’emparer du dogat comme d’un patrimoine. Sans consulter, sans daigner solliciter ou gagner les suffrages, alléguant seulement sa qualité de fils et de frère des deux derniers doges légitimes, il s’empara du palais et du gouvernement. Cette témérité excita une indignation générale. Ce qui choque le plus dans les usurpations, ceVest pas la passion de dominer, qui est commune aux prétendants ~ légitimes comme aux usurpateurs, c’est le mépris dont les nations ont à se plaindre. Sur le trône, Iï mépris qu’on affecte est encore plus dangereux que celui qu’on inspire. Tout le peuple se souleva. Assailli dans ce palais bâti par son aïeul, où son père et son frère avaient régné, où la veille il s’était établi lui-même de sa propre autorité, Dominique Urseolo voulut d’abord se défendre, comme s’il eut eu affaire à des rebelle?: