LIVRE XXL 337 contre l’avis de tout son conseil, et uniquement par l’influence du premier ministre, à qui le duc de Valentinois avait persuadé qu’il pouvait le servir très-subtilement, et lui procurer le pontificat,après la mort d’Alexandre VI. Ce fut à la faveur du titre d’alliés de Louis XII que Borgia et son père purent impunément continuer leurs rapines, attirer leurs ennemis dans un piège, et se délivrer de presque tous, par le poignard ou le poison. XIV. Les Vénitiens crurent devoir adresser au roi quelques représentations, motivées uniquement sur l’intérêt qu’ils prenaient à sa gloire, contre la protection trop éclatante qu’il accordait au duc de Valentinois. Ces représentations demeurèrent sans effet. Le roi leur fit une réponse menaçante, où il descendait jusqu’à entreprendre la justification de son indigne allié. Ses ministres, pour faire leur cour à César Borgia, lui envoyèrent copie de cette réponse, et celui-ci ne manqua pas d’en faire trophée. Il la montra à Machiavel, qui en rendit compte à la seigneurie de Florence, dans une de scs dépêches. Louis XII était déjà, comme on voit, assez froidement avec la république. 11 eut une nouvelle occasion de s’en plaindre dans sa guerre de Naples. Pendant que ses troupes assiégeaient par terre Barietla, où Gonzalve de Cordoue s’était jeté, avec peu de vivres et de munitions, les Vénitiens ravitaillèrent la place par mer; et lorsque le roi fit porter des plaintes de ce secours donné à ses ennemis, le sénat répondit que la chose s’était faite à son insu, que Venise était une république de commerçants, que des particuliers avaient bien pu vendre des vivres aux Espagnols, avec qui on était en paix, sans qu’on fût autorisé à en conclure que la république avait manqué à ses engagements envers la France. On ne pouvait guère prendre moins de soin de dissimuler la connivence et la partialité du gouvernement. Mais Louis XII, ayant une armée occupée à Naples, obligé d’en rassembler une autre sur les frontières de la province de Languedoc menacée d’une invasion, et inquiet du côté du Milanais, ne voulut pas s’attirer de nouveaux ennemis, et feignit de trouver suffisantes les explications que le sénat voulait bien lui donner. Quelque temps après, quatre galères françaises, chassées par une escadre espagnole supérieure, se présentèrent devant le port d’Olrante qu’occupaient les Vénitiens. Cette fois, ceux-ci alléguèrent leur neutralité pour refuser un asile à l’escadre française, à laquelle le commandant fut obligé de mettre le feu pour qu’elle ne tombât pas entre les mains de l’ennemi. HISTOIRE DE VENISE. XV. Cependant l’armée du roi, dans le royaume de Naples, avait eu d’abord de grands succès. C.on-zalve de Cordoue s’était vu réduit à ne pouvoir tenir la campagne. Cette prospérité ne dura pas longtemps ; il n’entre pas dans mon sujet de rapporter les détails de cette guerre, ni les exploits du duc de Nemours, de Daubigny Stuart, de la Palisse, et du capitaine Bayard. Je ne dois m’attacher qu’aux résultats; ils étaient dans le commencement, comme je l’ai dit, peu favorables aux armes espagnoles. Aussi le roi d’Arragon adressait-il de vives sollicitations aux Vénitiens, pour qu’ils l’aidassent à chasser les Français de l’Italie; il offrait de leur céder, pour prix de leur alliance , une province du Naples, et de leur laisser prendre une partie ou même tout le reste du duché de Milan. Quelque séduisantes que fussent ces offres, le gouvernement vénitien n’osa pas se déclarer ; mais, comme on l’a vu, il laissa percer sa partialité, de manière à ne pas permettre aux Français le moindre doute sur ses véritables dispositions. L’armée de Louis XII avait une supériorité marquée sur celle de Ferdinand. Le général espagnol, malgré son habileté, qui lui mérita le surnom de grand capitaine, était réduit à la défensive, perdait tous les jours du terrain, et aurait fini par être obligé d’évacuer entièrement l’Italie, si le roi de France eût fourni à scs généraux les moyens de faire un effort décisif. Au lieu de cela, il quitta tout à coup Milan, pour retourner en France, et se contenta d’ordonner quelques armements dans les ports de Gênes et de Marseille. XVI. Il arrivait bien, de temps en temps, quelques renforts d’Espagne en Sicile, qui de Sicile passaient ensuite dans le royaume de Naples; mais ces secours ne rétablissaient point l’égalité des forces. Ferdinand sentit que, pour obtenir la supériorité, il lui fallait gagner du temps, et surtout ralentir les préparatifs de l’ennemi. Dans cette vue, il engagea l’archiduc d’Autriche, son gendre, qui était allé en Espagne prendre possession de la couronne de Castille; il l’engagea, dis-je, à se rendre l’intermédiaire de son accommodement avec le roi Louis XII. L’archiduc, qui avait à traverser la France, pour retourner dans les Pays-Bas, se rendit auprès du roi, à Lyon. Là , il négocia la paix entre son beau-père et la France, et proposa que les deux rois, qui se disputaient les provinces de Naples, confondissent leurs intérêts, en cédant l’un et l’autre ce qui devait leur appartenir aux deux enfants dont le mariage avait été arrêté l’armée précédente. En conséquence, il fut convenu qu’en considération du futur mariage de Charles, lils de l’archiduc et petits-fils de Ferdinand, avec Claude, fille de 22