LIVRE X. 143 LIVRE X. SUE R RE DE CIUOZZA, 1378-1581. I. S’il est un spectacle digne d’admiration et d’intérêt, c’est celui d’un État sans population, sans territoire, disputant son existence contre une multitude d’ennemis; se créant, par l’industrie, des moyens de résistance là où la nature semblait les avoir refusés, déployant un caractère qui ferait honneur aux peuples les plus célèbres de l’antiquité, un appareil de forces digne des plus grandes puissances; appelant à son secours les ambitions, les haines étrangères, et, lorsqu’il semble épuisé par tant d’efforts, trouvant une nouvelle énergie dans la plus noble de toutes les passions, le patriotisme. Les Vénitiens avaient sans doute mérité la jalousie de leurs voisins, par leurs prospérités ; ils pouvaient avoir justifié l’animosité par des conquêtes injustes et par leur esprit de domination ; mais ces torts leur étaient communs avec tous les peuples qui avaient eu de grands succès; mais ces succès avaient déjà été expiés par de grands revers. Créateurs de leur patrie, fondateurs de l’une des plus belles villes de l’Europe, possesseurs d’un riche commerce, ils avaient conquis et perdu un vaste empire, ils disputaient encore la domination des mers. Leur gouvernement offrait le rare spectacle d’une stabilité inconnue aux autres nations; et dix siècles d’une glorieuse existence méritaient sans doute a leur république le respect de l’univers. S'il est dans l’homme un sentiment qui l’attache à tout ce qui est grand, à tout ce qui est beau, qui lui lasse déplorer la destruction de ce que les âges ont consacré, malheureusement il est aussi une passion moins noble, que l’aspect des prospérités importune, et qui met sa gloire à renverser la gloire d’autrui. C’était l’envie, plutôt que le soin de leur sûreté, qui avait ligué tant de princes contre Venise. Un seul prince d’Italie voulut faire cause commune avec elle; ce fut le seigneur de Milan : mais il n’avait promis qu’un secours de quatre cents lances et deux mille fantassins; il n’avait garde de partager les efforts, et surtout les dangers de la république. Venise allait combattre pour se défendre; Visconli pour opprimer Gênes ou Vérone, s’il en trouvait l’occasion. A l’exception du roi de Hongrie, qui pouvait lever une armée dans ses Étals, les autres puissances engagées dans cette guerre n’avaient point d’armée nationale. Elles prenaient à leur solde des troupes de mercenaires rassemblés par des aventuriers. C’était une compagnie française, dite de l’Etoile, qui, sous la bannière de Visconli, ravageait les environs de Gênes, jusqu’à ce que cette ville eût racheté scs campagnes du pillage par une forte rançon. C’était une bande d’Anglais, connue sous le nom de la Confrérie blanche, qui servait tour à tour lous les partis, et qui, cette fois, s’était chargée de dévaster le pays de Vérone. D’aulres, à la solde du seigneur de I’adoue et du patriarche d’Àquilée, mettaient à feu et à sang la marche de Trévise. Les Vénitiens, qui pouvaient à peine suffire par eux-mêmes à l’armement de leurs flottes, avaient aussi appelé un grand nombre de ces slipendiaires; et on verra bientôt combien il est pénible et dangereux d’être réduit à acheter un tel secours. On conçoit que de pareils mercenaires, sans pairie, sans intérêt dans la guerre, ne pouvaient voir, dans les querelles des peuples, qu’une occasion de