LIVRE V. 83 national des habitants de Sienne, et peut-être la jalousie ont accrédité parmi eux l’opinion que les Vénitiens leur avaient demandé communication de leurs statuts, et les avaient pris pour modèle. Il serait fort difficile de vérifier ce fait, dont assurément les Vénitiens ne demeureraient pas d’accord. Ce fut, dit-on, sous le règne de Jacques Thiépolo, en 1246, que furent commencés le pont de Ilialte et les embellissements de la place Saint-Marc. Thiépolo fut remplacé par Marin Morosini, pour l’élection duquel on éleva le nombre des électeurs à quarante et un, afin d’éviter les inconvénients du partage (1249). C’est au règne de celui-ci qu’il faut rapporter la première croisade de Saint Louis, dont je ne fais mention que parce qu’un vieil historien reproche aux Vénitiens de n'avoir pas voulu se laisser lléchir pour fournir à ce prince des vaisseaux à un prix raisonnable. Morosini ne régna que trois ans. Après sa mort, les quarante et un électeurs firent choix de Renier Zeno, et annoncèrent celte élection au peuple. C’est l’expression de l’historien Dandolo que je consigne ici, parce qu’elle fait voir ce qui restait au peuple vénitien de son ancien droit d’élire le doge (1252). XV. Le règne de Zeno fut rempli par une guerre continue de onze ans que la république de Venise eut à soutenir contre celle de Gênes. Ce fut vers l'an 12o6 qu'éclata entre les deux peuples cette haine née de la jalousie du commerce; haine si funeste dans ses effets qu’elle compromit tour-à-tour l'existence des deux États. Gênes, sans territoire comme Venise, tirait toute sa puissance de la navigation. Cette navigation avait pour objet de fournir à l’Europe les marchandises de l’Asie. A cette époque, la boussole n’avait pas encore ouvert les routes de l’Océan. Quatre puissances principales possédaient de vastes côtes sur la Méditerranée, mais aucune d’elles n’avait une marine commerçante. Les chrétiens et les Sarrasins se disputaient encore l’Espagne ; la France divisée ne songeait pas à s’enrichir par le commerce, qu’elle semblait même dédaigner; le royaume de Naples et de Sicile était devenu une proie que plusieurs familles se disputaient; l’empire grec, déchiré de toutes parts, était pressé par les peuples orientaux. C’était un immense avantage que le privilège exclusif d'aller acheter, dans le fond de la Méditerranée, tous les objets de luxe et de nécessité que l’Asie fournissait à l’Europe, d’en fixer à son gré le fret et le prix. Ce privilège était exploité par les trois républiques de Venise, de Pise et de Gènes. Les deux dernières n’avaient pu voir sans envie les établissements que la première avait acquis dans l’Archipel et dans la Morée. Si les Vénitiens avaient pu garder toutes leurs conquêtes, ils auraient certainement fini par interdire à leurs rivaux la navigation de la mer Noire, du Bosphore et de l’Archipel. Sans en venir même à cette extrémité, ils auraient eu sureux tant d’avantages, que la concurrence serait devenue impossible; aussi le sentiment de leur intérêt avait-il allié les Génois avec les empereurs grecs, pour la destruction de l’empire latin en Orient (12Î56). Sur les côtes de la Palestine, les avantages avaient été moins inégalement partagés. On a vu que les Génois comme les Vénitiens avaient des comptoirs dans les ports principaux. Ils possédaient les uns et les autres des quartiers dans plusieurs places; ils y étaient sous la juridiction de leurs magistrats. Dans la ville de Saint-Jcan-d’Acre il ne se trouvait malheureusement qu’une église pour les deux nations. Les Génois en réclamaient la possession exclusive, les Vénitiens voulaient qu’elle lût commune; le pape jugea le différend en faveur de ceux-ci. Les Génois, au lieu de se soumettre à cette décision , s’emparèrent de l’église, la fortifièrent et chassèrent tous les Vénitiens de la ville. Ils devaient s’attendre à être bientôt attaqués. Venise arma treize galères, qui forcèrent l’entrée du port, et brûlèrent trente bâtiments génois qui s’y trouvaient. Quelques troupes mises à terre marchèrent sur l’église qui était le sujet de la querelle, remportèrent d’assaut, la détruisirent entièrement, forcèrent les Génois à se réfugier dans Tyr, s’emparèrent de leurs comptoirs, et pillèrent leurs magasins. Les Génois établis à Tyr se mirent aussitôt en mer avec quelques vaisseaux, pour tirer vengeance do cette perte. L’escadre vénitienne sortit du port de Saint-Jean-d’Acre, pour aller à leur rencontre, et les battit complètement. Mais ce n’était là que le prélude de combats plus sérieux. Les deux républiques armaient avec la plus grande activité. Les Vénitiens ne sc bornèrent pas à déployer leurs pro-' près forces. Ils invoquèrent la haine que les I’isans avaient vouée au nom génois, et oubliant pour un moment leurs propres rivalités, parce qu’il y avait un ennemi commun à détruire, Venise et Pise s’allièrent parun traitéoffensifet défensif, dont la durée était fixée à dix ans. Quarante-neuf galères et quatre gros vaisseaux partis de Venise arrivèrent devant Saint?Jean-d’Acre, presque dans le même temps où quatre gros vaisseaux et quarante galères génoises entraient dans la rade de Tyr. Les deux flottes remirent en mer, animées d’une ardeur égale; elles s’aperçurent mutuellement vers le soir du 2o juin 12-58. On passa la nuit à s’observer. Les Génois avaient pour capitaine Guillaume Buccanigra. La Ilot le vénitienne était commandée par André Zeno, fils du doge, el