LIVRE XIX. 293 vaient leur élre fournies que par les Vénitiens. Pour établir une fabrique hors du dogado, il fallait obtenir un privilège ; et pendant longtemps les villes de la terre-ferme ne purent expédier leurs marchandises à l’étranger qu’en les faisant passer par Venise, où elles payaient un droit. Ce n’était que dans Venise même qu’il était permis de traiter avec les Allemands, les Bohémiens et les Hongrois. On juge avec quelle sévérité étaient prohibées les marchandises qui pouvaient entrer en concurrence avec celles que produisait l’industrie nationale. Dans le dix-septième siècle, les Vénitiens demandèrent, à plusieurs reprises, que le port de la capitale fût érigé en port franc; on en lit l’essai, mais le_gouvernement revint bientôt après à ses inflexibles douanes. Malgré celte législation si gênante', les étrangers affluaient à Venise. Outre les Juifs, les Grecs, les Allemands, qui y occupaient des quartiers, on y voyait une multitude d’Arnié-niens, de Musulmans, d’italiens , de Frisons et de Hollandais, quoique ces deux derniers peuples n’eussent encore donné l’essor ni à leur amour pour la liberté, ni à leur ardeur ponr les spéculations commerciales. En privant presque tous les peuples de l’Italie de l’avantage de faire le commerce, et en leur livrant, à un prix modéré , tout ce qu’ils ne leur permettaient pas de se procurer par eux-mêmes, les Vénitiens s’étaient rendus tellement nécessaires, que souvent, pour faire plier leurs voisins, ils n’eurent qu’à cesser toutes relations avec eux. Le roi de Naples, Robert, étant en guerre avec la république, fut obligé de faire la paix, parce que ses sujets ne lui payaient plus aucun impôt, alléguant qu’ils n’avaient plus d’argent depuis que les Vénitiens avaient cessé de fréquenter le pays. Pendant la guerre où la république fut engagée contre les Turcs, au commencement du seizième siècle, l’envoi des flottes dans le Levant et sur les côtes de Barbarie se trouva nécessairement interrompu. Mais à peine la paix eut-elle été conclue, que Venise vit arriver un ambassadeur de Tunis, pour la solliciter de reprendre ses relations commerciales avec l’Afrique. La jalousie que les Vénitiens témoignaient contre tous les étrangers ne devait pas ménager les Juifs. Tour à tour admis et chassés, ils finirent par être tolérés à Venise, mais leur trafic y était gêné par mille entraves. Ils ne pouvaient s’y établir que pour un temps; ils étaient assujettis à porter un signe distinctif j on leur imposait des taxes particulières, qui ne les dispensaient d’aucune autre; un quartier séparé leur était assigné, et ils y étaient renfermés depuis le coucher du soleil jusqu’au jour; ils ne pouvaient posséder des immeubles ; 011 les obligea à tenir leur banque publiquement; le nombre de ces établissements fut limité; l’intérêt de l’argent fut fixé tantôt à dix, tantôt à douze pour cent, même sur gages, intérêt qui parait énorme, et qui prouve seulement qu’à cette époque les fonds placés dans le commerce rendaient davantage. Cette banque finit par remettre son bilan.Elle devait plus d’un million de ducats; mais la colonie juive était sous la surveillance d’un tribunal nommé les Inquisiteurs des Juifs, créé en 1722, qui fut chargé de contraindre les débiteurs à payer intégralement leurs créanciers. Quelque temps après, en 1777, l’hôpital des Incurables suivit l’exemple des Juifs, et fit une banqueroute de deux millions de ducats ; et cette fois personne ne contraignit l’établissement débiteur à s’acquitter. On interdisait aux Juifs plusieurs métiers, plusieurs arts; il leur était défendu de faire rien imprimer : mais, malgré toutes ces rigueurs d’une police soupçonneuse, ils affluèrent toujours à Venise, surtout lorsqu’ils furent expulsés de l’Espagne et du Portugal, parce que le gouvernement vénitien les avait soustraits à la juridiction de l’inquisition ecclésiastique. Parmi les lois des Vénitiens qui réglaient leurs rapports commerciaux avec les étrangers, il faut eu remarquer une qui tenait à des considérations d’un autre ordre. Venise faisait un commerce considérable avec les pays transalpins , c’esl-à-dirc avec l’Allemagne. Un décret de 1473 défendit aux sujets de la république d’aller eux-mêmes conduire leurs marchandises au delà des monts ; de sorte que les Allemands furent obligés de venir les chercher. Cette disposition particulière est une exception, une véritable anomalie dans le système commercial de Venise : pour se l’expliquer, il faut considérer que la capitale voulait empêcher toute relation entre ses provinces de terre-ferme et l’Allemagne, que ce commerce 11e pouvait se faire que par terre, et qu’apparemment le gouvernement voulut interdire tout ce qui pouvait détourner les Vénitiens du commerce maritime. 11 serait plus difficile de trouver la raison d’un autre usage, qui laissait presque entièrement aux Napolitains l’exploitation de la pèche du corail, si abondante sur les côtes de la Dalmatie. A cette exception près, le gouvernement se montra constamment fidèle à la maxime fondamentale qui conseille, dans le commerce comme dans la guerre, de ne pas attendre l’étranger chez soi : encore faut-il remarquer que les Allemands ne pouvaient importer leurs marchandises à Venise qu’à une époque déterminée; qu’ils ne pouvaient les vendre qu’à des Vénitiens ; qu’ils ne pouvaient acheter que des Vénitiens ce qu’ils exportaient en retour : qu’ils avaient dans Venise un quartier qui leur était spécialement réservé, mais que l’entrée en était inter-