350 HISTOIRE DE VENISE. mit son amour à de nouvelles épreuves. Averti que César différait de produire les dispenses dont il était porteur, dans l’espérance de se les faire payer plus cher, le roi prit le parti de s’en passer (1); de telle sorte que la sentence de séparation fut prononcée à Amboise le 12 décembre, la dispense expédiée à Rome le 6, et le mariage conclu à Nantes le 7 janvier suivant. Et il était si vrai que Louis était entraîné par une autre passion que cellè de la politique, que, dans son contrat de mariage, il oublia totalement les intérêts de la France. Il y fut stipulé que la reine, pendant sa vie, conserverait la jouissance pleine et entière de son duché; que si elle avait plusieurs enfants, le duché passerait, après elle, au second de ses (ils, et même, à défaut de mâles, à l’aînée des filles : que si elle n’avait qu’un fils, la Bretagne appartiendrait après lui au puîné des enfants de celui-ci; et qu’enfin, si la reine mourait sans enfants, le roi, en lui survivant, n’aurait que la jouissance viagère du duché, qui reviendrait ensuite au plus proche parent de la reine. De sorte que le second mariage de la duchesse Anne détruisait l’effet du premier, c’est-à-dire la réunion de la Bretagne à la France. Ainsi un roi, digne des bénédictions du peuple par plusieurs qualités respectables, mais entraîné par une passion que tant d’obstacles avaient irritée, se trouvait avoir besoin de l’autorisation d’un prêtre dissolu pour répudier une épouse légitime et vertueuse, se livrait, sur la foi de deux scélérats, aux rêves de l’ambition, entrait en communauté d’intérêts avec un César Borgia, et promettait de l’aider à devenir souverain. Un ministre recommandable parla sagesse de son caractère et de son administration, ne put se défen- (1) « Borgia apporta la dispense avec lui; mais,s'imaginant que Louis, impatient de la tenir, lui accorderait tout ce qu’il demanderait, il jugea à propos de la tenir cachée, jusqu’à ce que ce prince eût fait conclure son mariage (de Borgia) avec Charlotte, infante de Naples. Dans cette vue, il dit qu’il n’avait point la dispense, mais qu’il l’attendait tous les jours de Rome : ce qui était non-seulement contraire aux promesses du pape et à ses lettres, mais à ce que l’évéque de Scuta, nonce à Paris, savait, qui dit au roi que, quoi qu’en dit Borgia, il était sûr qu’il avait apporté la dispense avec lui. » Louis assembla ses théologiens, et leur demanda s’il ne pouvait pas, en bonne conscience, terminer son mariage, quoiqu’il n’eût pas vu la bulle, étant bien assuré qu’elle avait été donnée, quand bien même elle ne serait pas présentée, par la faute d’autrui. Les théologiens décidèrent unanimement en faveur du roi, et l’assurèrent qu’il pouvait consommer son mariage quand il lui plairait. Sur quoi le mariage avec Anne de Bretagne fut terminé. Elle fut déclarée reine de France, et le mariage du roi avec Jeanne, nul. dre de l’illusion commune à tous les courtisans qui ont partagé la mauvaise fortune de leur maître. 11 oublia sa modération au point de porter ses vues jusqu’à la tiare. Les Borgia eurent l’adresse de lui faire entrevoir combien la présence d’une armée française serait utile pour appuyer ses prétentions au moment où le saint-siége viendrait à vaquer, et dès-lors le conseil du roi jugea presque unanimement qu’il n’y avait rien de si convenable aux intérêts de la France, que de tenter la conquête de Milan et même celle de Naples. IV. Louis XII n’était pas, comme Charles VIII, un prince parvenu, sans savoir encore lire, à l’âge de gouverner, et réduit à être un instrument aveugle dans la main de deux ministres corrompus. Le nouveau roi avait à peu près quarante ans. Rien ne lui manquait, ni l’habitude des hommes et des affaires, ni l’expérience de la guerre, ni même les leçons de l’adversité. A ces avantages il joignait beaucoup de vertus et le bonheur de posséderai ministre habile. La bonté, la modération, l’économie, ont mérité à ce prince le surnom de l’ère-du-l’euple. Ce titre est si auguste, et l’on a tant de plaisir à admirer en tout ceux qu’on doit respecter, qu’il en coûte à notre propre vanité de faire l’aveu de leurs erreurs. Celles de Louis XII paraissent avoir eu pour principe sa passion pour Anne de Bretagne, et sa confiance trop aveugle dans le cardinal d’Amboise. Le désir de rompre son premier mariage le mit dans la dépendance du pape, et lui fit contracter une alliance avec deux infâmes scélérats. Dans son second mariage, il se laissa dicter, par la duchesse, des conditions qui délruisaient le seul bien qu’eût fait le conseil de Charles VIII. * Le premier contrat «d’Anne de Bretagne, dit l’historiographe de o Borgia, voyant ses artifices découverts, fut fort mortifié et obligé enfin de présenter de mauvaise grâce la bulle de dispense au roi, qui ne jugea pas à propos d’entrer en discussion et laissa là cette affaire. Mais Borgia n’en fit pas de même; car, voyant SSsespérances trompées, il résolut de s’en venger sur celui qui l’avait décelé. 11 fit donner au nonce une dose de poison, moyen ordinaire qu’il employait pour se défaire de ceux qu'il haïssait, et en fort peu d'e temps l’évéque mourut misérablement.«(Dictionnaire de Chaui-fepié, au mot Borgia.) « César avoit la bulle de la dissolution du mariage ; mais, par le conseil du pape son père, il disoit qu’il ne l’avoit point, afin que le désir de l’obtenir portât le roi à lui faire encore quelque grand avantage. Cela déplut à Louis; mais t’évéque de Seula l’informa de la vérité du fait. Le roi, sachant que la bulle étoit expédiée, ne la demanda plus; et alors Borgia, voyant qu’il ne lui serviroit de rien de la re-teuir, la remit au roi. Ayant appris que c’étoit l’évèque de Scuta qui en avoit informé le roi, il le fit empoisonner. * {Monuments de la monarchie francoise, par Mostfaiî-cos, t. IV, p. 61.)