LIVRE XXIII. 381 les boulets ennemis. Deux de ses cuisiniers ayant été tués, il consentit à se placer un peu plus loin; son ardeur l’y ramena. Bientôt le logement ne fut plus tenable; il en choisit un autre où les boulets se dirigèrent comme sur le premier. Un général qui aurait voulu aguerrir son armée n’aurait pas fait davantage. Enfin, à force d’être jour et nuit à la tranchée, il parvint à faire une large brèche à la place. La gelée permettait de traverser le fossé. Il allait faire donner l’assaut, lorsque les assiégés offrirent de capituler. On eut beaucoup de peine à obtenir de cet ardent vieillard, qu’il leur accordât la vie, et on le vit entrer dans la Mi-randolë par la brèche, comme aurait pu faire un jeune conquérant. Après cet exploit, il fut obligé de se replier, parce que les Français arrivaient en forces. L’activité d’un tel allié laissait peu de chose à faire aux Vénitiens. Il occupait la moitié de leur armée dans le pays de Ferrare, et par conséquent réduisait à peu près à l’inaction ce qui en restait dans le Frioul et sur l’Adige. Aussi la guerre se bornait-elle à des ravages. Avec d’autres troupes, il eût été difficile de prévoir où l’ardeur de ce pontife se serait arrêtée. Beaucoup d’auteurs rapportent qu’un jour il jeta dans le Tibre les clefs de Saint Pierre, pour ne plus se servir, disait-il, que de l’épée de Saint Paul. Cette anecdote, qui peut avoir été imaginée par des historiens satiriques, n’en peint pas moins le caractère de ce pontife. Mais il éprouvait la vérité de cette observation de Guichardin, que les papes sont toujours mal servis à la guerre; et il s’en plaignait continuellement. La faiblesse de ses troupes et de ses officiers n’aboutit qu’à faire mieux ressortir la vigueur de son caractère. Déjà il avait développé tout son plan, qui était d’expulser les étrangers de l’Italie, et d’en devenir le dominateur. Il conduisait à sa suite les Vénitiens, le marquis de Mantoue, les peuples de la Romagneet les Napolitains; il faisait des révolutions à Florence, il en préparait à Gènes. Cette réunion de toutes les puissances de la Péninsule sous les mêmes drapeaux, était l’effet de l’indiscrétion de Louis XII. Ce prince avait dit hautement, et tous les ministres étrangers qui remplissaient sa cour avaient mandé à leurs maîtres, qu’il allait se rendre enfin aux instances de l’empereur, et partager avec lui toute l’Italie. Les armées (1) Merctirin de Guttinare, qui était ambassadeur de Maximilien en Espagne,écrivit à Marguerite d’Autriche une lettre fort curieuse dans laquelle il lui transmet les conseils du roi d’Arragon sur la conduite que l’empereur doit tenir, (Recueil des lettres de Louis XII, t. I, p. 273.) (2) C’est l’évéque de Gurck lui-même qui nous apprend cette circonstance, « Cumque ego, dit-il dans une lettre à l’évéque de Paris, jam quasi itinere accinctus intellexissem portaient la peine des dévastations qu’elles avaient faites. Les Français qui servaient dans le Frioul sous la Palisse, restèrent six jours sans pain. Les maladies firent d’horribles ravages. La Palisse ramena à peine la moitié de son monde. Tous les Grisons qui servaient sous les drapeaux de l’empereur périrent; on dit que deux ou trois seulement revinrent dans leur pays. Ferdinand d’Arragon, qui prévoyait que tôt au tard il aurait les Français sur les bras, soit à Na-ples, s’ils étaient heureux en Italie, soit sur les frontières d’Espagne, travaillait de tout son pouvoir à séparer Maximilien de Louis XII, et pour cela, il proposa à l’un et à l’autre d’entamer des négociations pour la paix (1). L’évêque de Gurck fut envoyé par l’empereur à liologne, où était le pape ; mais il y affectait une extrême hauteur, jusque-là qu’il gourmanda l’ambassadeur de Venise, pour avoir osé paraître en sa présence (2), et qu’au lieu de traiter personnellement avec trois cardinaux que le pape avait députés pour conférer avec lui, il nomma, de son côté, trois de ses gentilshommes pour les entendre (3). Il était difficile qu’un négociateur aussi hautain que l’évêque de Gurck, et un prince aussi inflexible que Jules, s’accordassent dans une affaire dont l’accommodement demandait des concessions réciproques. Le ministre impérial exigeait que les Vénitiens cédassent Vérone, Vicence, Trévise et Padoue, et que le pape se réconciliât avec le roi de France. Les Vénitiens rie voulurent pas même abandonner deux de ces provinces. Jules répondit que rien ne pourrait le déterminer à laisser le Milanais au roi, dût-il lui en coûter la tiare et la vie. II fallut rompre les conférences, et se préparer à une nouvelle campagne. X. On devait s’attendre que le roi de France, dont l’activité, l’énergie, les ressources, ne s’étaient pas développées pendant la campagne de 1310, commencerait celle de Vóli d’une manière plus imposante. En effet, Chaumont étant mort, le maréchal de Trivulce, qui lui succédait, reprit sans difficulté presque tout ce que le pape avait conquis dans le pays de Ferrare, emporta d’assaut Concordia, enleva quelques quartiers à l’armée combinée, mais ne put réussir à la déloger du poste qu’elle avait choisi dans l’angle que forment la Burana et le Pô à leur venisse inter alios etiamoratoremYenetorumutmecondu-ceret,e£Fecistatim medio magistri cæremoniarum pontificis et aliorum, ut jnssus fuerit exire comilivam, quod valde indigné de me tulit. » (Recueil des lettres de Louis XII, t. II, p. 140.) (3) Montfaücon, Monuments de la monarchie française, t. IV, p. 118.