280 HISTOIRE DE VENISE. moins timides, et l’on s’aperçut que celte ville nouvelle, placée dans une position facile à défendre, presque sur la limite qui sépare l’Europe de l’Asie, était appelée à devenir, par l’industrie de ses habitants, le marché principal despeuples occidentaux. D’aulrcs circonslanccs locaflft lui donnaient les moyens de communiquer facilement avec un grand nombre de consommateurs. L’Italie était séparée de l’Allemagne par les Alpes, alors impraticables pour le commerce. Un port situé au fond de l’Adriatique et à l’embouchure du PÔ, élail l’entrepôt naturel des laines, des soies, du coton, du safran, de l’huile, de la manne, et de toutes les autres productions que l’Italie fournit à la Hongrie et à l'Allemagne. Par la même raison, tout ce que le Nord avait à tirer du Levant, de l’Afrique et de l’Espagne devait passer par Venise. Les voyages au delà du détroit de Gibraltar, pour remonter vers les côtes septentrionales de l’Europe, étaient alors des voyages de long cours. L’imperfection de la navigation était telle, que les peuples septentrionaux n’avaient pas encore appris à venir eux-mêmes chercher les productions de la Méditerranée, et que les habitants des côtes de cette nier ne tentaient que bien rarement des expéditions qui entraînaient tant de perte de temps, de frais et de dangers. 11 en résultait que le fond du golfe Adriatique était le seul point de communication de l’Allemagne avec la mer navigable; et Venise était un magasin établi sur ce point de communication, offrant une égale sûreté contre tous les ennemis et contre les tempêtes. II. Le Pô, la Brenta, l’Adige, semblaient venir se jeter dans le bassin des lagunes, pour offrir aux Vénitiens une route facile, par laquelle ils pouvaient conduire, sans danger et sans frais, toutes les productions que demandait l’Italie septentrionale (1). Aussi ce fut un des soins les plus constants de cette république naissante de s’assurer une libre navigant) Les premières éditions de cet ouvrage avaient paru avant qu’on eût connaissance en Europe des mémoires apportés de Ste-Hélène, sur les campagnes des Français en Italie. Les mimes observations, mais appliquées à l’élat des choses'dans les temps modernes, se trouvent dans ces mémoires. « Venise, y est-il dit, se trouve la ville et le port de commerce le mieux situé de toute l'Italie. Toutes les marchandises de Constantinople et du Levant y arrivent directement, par le chemin le plus'eourt, par l’Adriatique. De là elles se répandent jusqu’à Turin parle Pô, et dans toute l'Allemagne, en remontant l’Adige, jusqu’auprès de Botzen, où elles trouvent des chaussées sur Augsbourg et Nuremberg. Venise est située près l’embouchure du Pô et de l’Adige : elle est le port de ces deux rivières. D’un autre côté, elle communique par des canaux avec Bologne, de sorte que toutes les productions de la grande plaine d’Italie s’écoulent par Venise. Celle ville est le port de mer le plus tion et toutes sortes de franchises sur ces fleuves et sur leurs nombreux affluents. Dès l’an 712, le premier doge de la république conclut un traité avec Luitprand, roi des Lombards, qui conservait aux Vénitiens des privilèges commerciaux dans les ports et sur les terres de ce royaume. Non-seulement ils • étaient exempts chez leurs voisins de toutes redevances, mais ils prenaient à ferme les droits du souverain, et l’exercice de cette perception leur donnait les moyens de la rendre onéreuse à leurs rivaux et d’écarter toute concurrence. On les vit même, dans le XV0 siècle, offrir au duc de Milan, Philippe-Marie Visconti, de lui entretenir dix mille hommes de pied et dix mille chevaux, s’il voulait leur laisser l’administration des douanes de sa capitale. La république n’apporta pas moins d’attenlion à conserver le privilège exclusif de fournir ce continent des produits qu’elle pouvait tirer de son petit terriloire. Elle perfectionna l’art d’extraire le sel. Elle s’appropria, autant qu’elle le put, toutes les salines de ces côtes (2). Elle interdit à ses voisins la faculté d’exploiter celles qu’ils avaient. Les Vénitiens vendaient deux qualités de sel ; celui qu’ils fabriquaient eux-mêmes dans leurs lagunes, et qu’ils appelaient sel de Chiozza, eteelui qu’ils liraient des salines de Cervia, de l’istrie, de la Dalmalie, de la Sicile, des côtes d’Afrique, de la mer Noire cl même d’Aslracan. Tous ces sels étrangers étaient compris sous la dénomination de sel (le mer ou d’outre-mer. Les premiers étaient d’une qualité supérieure, et, par conséquent, d’un prix plus élevé. Les salines de Cervia appartenaient aux Bolonais; les Vénitiens traitèrent avec eux, et, pour se réserver le commerce de tout le sel qui proviendrait de celte origine, ils déterminèrent la quantité qu’il serait permis d’en exploiter; et ils établirent des surveillants sur le lieu même de la fabrication. La république obtint le droit de transporter même les sels fossiles que l’Allemagne méridionale et la près d’Augsbourg et de Munich; la nature a fait Venise l’entrepôt d’échange du Levant, de l'Italie et de l’Allemagne méridionale. « (Mémorial de Sle-lièlène, t. 4, p. 10.) t2) u Elle accapara, en quelque sorte, toutes les salines de la terre alors fréquentées par les navigateurs. Ainsi, non contente de celles de Chiozza, elle exploite à titre de propriétaire ou de fermier celles de Cervia, de la Dalmalie, de Trapana en Sicile, de Chrysopolis, de Lewkimos dans l’tle de Corfou, du Buthrotum près de la Chaonie, de Sayadez, mouillage de la Thesprolie, d’Actium où l’on voit encore les restes de ses établissements, de Nériie, de Leucade, des atterrissements de l’Acliélolls qui furent dès le temps d’ilo-mère un sujet de guerre entre les Aeananiens cl les Elo-liens de l’Achaïe, de la Laconie, du cap Bon au royaume de Tunis, et d’Aliica, ville encore considérable du golfe de la Mahumette. r (M. Pohqueville.)