LIVRE XXII. 5G3 cria aux Gascons : « Enfants, le roi vous voit; » la digue fut emportée, le passage fut ouvert à la cavalerie française. Celle des Vénitiens lui résista faiblement; leur armée fut culbutée, etPetigliano eut la douleur de ne pouvoir réparer un désastre qu’il n’avait que trop justement prévu. Il ne parvint que très-difficilement à rallier ses troupes débandées sous la protection de son avant-garde, devenue son corps de réserve. Vingt pièces de canon, tous ses bagages et six mille morts restèrent sur le champ de bataille. D’autres disent huit mille ; mais une si grande perte est peu vraisemblable, après une bataille qui n’avait duré que trois heures. Alviane, blessé au visage, tomba entre les mains du vainqueur, qui lit élever une petite chapelle, dédiée à Notre-Dame-de-la-Victoire, sur ce même terrain où, deux siècles après, le duc de Vendôme devait battre l'armée de l’empereur. Cette bataille fut donnée le 14 mai 1,509, près du village d’Agnadel, d’où elle a pris son nom. Les Italiens l’appellent la bataille de Vaila ou de la Ghiera d’Adda. IX. cette journée décidait du sort de la guerre, l’etigliano , avec une armée désorganisée et que la désertion affaiblissait tous les jours, se retira successivement sur Caravaggio , sur Brescia, sur l'es-chiera , toujours poursuivi par l’ennemi. Caravaggio, Bergame, se rendirent le lendemain et le surlendemain de la bataille ; les bourgeois de Brescia se saisirent des portes de leur ville pour les livrer aux Français ; Pizzighittone, Crémone, capitulèrent. André de Riva, gouverneur de la citadelle de Peschiera, fut le seul qui se rappela que les devoirs d’un commandant de place sont d’autant plus sacrés que sa patrie est plus malheureuse. Mais sa résistance fut vaine, il fut emporté d’assaut; et Louis XII, par une barbarie qui n'était point dans son caractère, fit passer la garnison au fil de l’épée, et pendre ce brave gouverneur, avec son fils, aux crénaux de la citadelle. L’empressement des villes pour se rendre était tel , qu’elles refusaient même île recevoir les troupes du malheureux I’etigliano. Vérone lui ferma ses portes, et quelques jours après la bataille d’Agnadel, l’armée de la république se trouvait campée à Mestre, c’est-à-dire au bord des lagunes. C’est une chose qui devrait bien humilier les grands politiques que la fragilité de leurs ouvrages. Un Etat, c’est-à-dire une société d’intérêts entre plusieurs millions d’hommes, s’écroule et se dissout quelquefois en peu de jours. On se demande ce que sont devenus les intérêts communs, l’attachement au lien qui les unissait, le patriotisme, et à son défaut l’amour-propre. Cet esprit de civilisation, qui fait tout sacrifier à la conservation des propriétés et de la tranquillité individuelle, nous place, dans ces graves circonstances, au-dessous de l’homme sauvage, qui sait au moins défendre le sol natal, et montrer une horreur invincible pour le joug étranger. Peut-être aussi est-ce la faute des gouvernements,qui, uniquement occupés d’agrandir leur puissance dans l’intérieur et à l’extérieur, ne cherchent pas assez à confondre leurs intérêts avec ceux de leurs peuples. On n’a pas le droit de demander aux hommes les vertus qu’on leur a ôtées. Le gouvernement vénitien avait, à cet égard, au moins autant de reproches à se faire qu’un autre. Son administration était sage, douce même; mais le bonheur d’appartenir à quelques familles de Venise ne valait pas d’ètre acheté par le sacrilice de ses biens et de sa vie. Plus l’indifférence et la lâcheté des provinces étaient manifestes, plus l’épouvante dut être grande à Venise, quand, au moment où l'on croyait avoir une armée campée dans une position inexpugnable, on y apprit coup sur coup la bataille d’Agnadel, ses suites, la défection générale, l’invasion du Frioul par l’empereur, et les mouvements de tous les petits princes voisins qui se jetaient sur leur proie. X. La confusion fut extrême dans cette capitale. On courait sur les places publiques, on se pressait dans les églises, on s’interrogeait sans se connaître. A tout moment une nouvelle perte venait confirmer les désaslres précédents. L’armée du pape était à Ravenne. Le marquis de Manloue avait repris Asola et Lunato. Le duc de Ferrare envahissait la Polésìne; Trieste, secondée par les paysans des environs, avait chassé la garnison vénitienne. Un patricien, nommé Soncitio Benzone, avait trahi sa patrie, livré la villero Crème où il commandait, et pris du service dans l’armée française. Saisi quelque temps après, sous les bannières du roi, il subit le châtiment qu’il méritait. Le provédi-teur André Gritti le fit pendre. Les Allemands arrivaient par Trieste et Gorice, dont ils s’étaient emparés, par Cadore, par Trente. On apprenait que, dans toutes les places, le roi faisait enlever les nobles vénitiens, qu'il les exceptait toujours des capitulations et les retenait prisonniers. Le général écrivait que son armée s’affaiblissait par des désertions journalières, et que les villes delà république ne voulaient pas même le recevoir. Enfin l’armée française arriva jusqu’à Fusine, d’où le roi put voir cette capitale qu’il faisait trembler, et on ajoute qu’il fit établir une batterie de six cou-levrines, qui eanonnèrent Venise fort inutilement. On juge de la consternation qui devait y régner. Toutes les boutiques étaient fermées, le cours de la justice était interrompu ; le sénat, du lieu où il tenait ses séances, voyait la place Saint-Marc conti-