HISTOIRE DE VENISE. Ursins rassemblèrent des troupes, et on craignit de voir Gonzalve de Cordoue entrer dans Rome, à la tète de l’armée espagnole. Si l’armée française, traversant rapidement l’État de l’Églisc, où elle ne pouvait plus trouver aucun obstacle, se fût portée vers les frontières de Naples, où les troupes renfermées dans Gaëte et une flotte formidable l’attendaient, il eût été possible à un général habile, comme l’était la Trémouille, de rétablir les affaires. Mais ce n’était plus du royaume de Naples qu'il s'agissait. Aussitôt qu’on eut appris la mort d’Alexandre, l’armée s’avança jusqu’à Sienne. La flotte française, qui était à Gaëte, reçut ordre de venir à l’embouchure du Tibre, et d’amener même toutes les Iroupes qui ne seraient pas absolument indispensables pour la conservation de cette place. Elle se présenta en effet devant Ostie, et y débarqua un corps de quatre mille hommes. César Borgia s’adressa à l’ambassadeur de France, Villeneuve de Trans, pour lui offrir tout le crédit qu’il se vantait d’avoir sur le sacré collège, afin de procurer la tiare au cardinal d’Amboise. L’ambassadeur, qui n’avait rien plus à cœur que de rendre un pareil service au premier ministre, accepta avec joie ce secours, comme s’il eût eu quelque chose de réel. Un traité fut conclu, le 1er septembre, avec le Il y a lieu de croire que Voltaire a fait cette citation de mémoire; mais au fond elle esl exacte, quoique l’ouvrage auquel il nous renvoie, n’existe peut-être pas. Je vais tâcher d’y suppléer. Le continuateur des Annales de Baronics, Oderic Ray-nildi de l’Oratoire, soit qu’il ait eu dessein de justifier Alexandre VI du dernier crime qu’on lui imputait, soit pour rendre hommage à la vérité, dit que ce pape fut calomnié après sa mort; et en effet la manière dont il raconte sa dernière maladie, tendrait à écarter le soupçon de poison. Le samedi 10 août, dit-il, Alexandre VI se trouva mal dès le malin. La fièvre se déclara vers midi; le 15 il fut saigné, et la fièvre devint tierce. Le lendemain le pape prit médecine et se confessa. On célébra la messe dans sa chambre, et il communia en présence de cinq cardinaux. Son mal augmentant, on lui donna l’extrême-onction et il expira. D’après ce récit, la maladie du pape aurait duré depuis le 10 août jusqu’au 16. Cet auteur écraivaitun siècle et demi après l’événement. Ainsi on ne peut guère suspecter son impartialité. Cependant il faut connaître les sources où il a puisé. 11 ne manque pas de nous dire qu’il écrit sur la foi de plusieurs bons manuscrits. Mais cela ne suffit pas; car Félibien, qui raconte la chose tout différemment, s’autorise aussi d’un excellent manuscrit qu’il dit avoir vu dans la bibliothèque Rarberini. 11 n’est pas difficile de connaître les manuscrits où Ray-naldi a puisé, parce que sa narration esl exactement conforme & celle du journal tenu par Jean Burcard, maître des cérémonies de la chapelle sous les pontificats de duc de Valentinois, par lequel le roi lui garantissait ses États, et de son côté le duc promettait de joindre scs troupes à celles de France pour la guerre de Naples, et de faire tous scs efforts pour élever George d’Amboise au pontificat. On stipula même que le nouveau pape lui conserverait la dignité de gorifalonier de l’Église. Le cardinal d’Amboise accourait à Rome, pour assister au conclave, menant avec lui deux cardinaux italiens, sur la voix desquels il croyait pouvoir compter. Tous les cardinaux français avaient reçu ordre de se rendre à Rome. A son passage dans les quartiers de l’armée française, il donna ordre à la Trémouille de s’avancer jusqu’aux portes de cette capitale. On sent bien qu’il n’était plus question de bâter la marche vers Naples, puisqu’on faisait même venir des Iroupes de Gaëte à Ostie. Le cardinal touchait au terme de ses vœux. Une armée , qui était à ses ordres, occupait les avenues de Rome du côté du nord, et, du côté de la mer, une flotte française mouillait à l’embouchure du Tibre. Les troupes du duc de Valentinois, retranchées dans le Vatican, faisaient cause commune avec celles du roi : les trésors de la France étaient à la disposition du candidat ambitieux : il comptait plusieurs de scs créatures dans le sacré collège, et l’ambassadeur de France était allé jusqu’à deman- Sixte IV, d’innocent VIII, d’Alexandre VI, de Pie 111 et de Jules II. Seulement, suivant Burcard, la fièvre se déclara le 12, et le pape mourul le 18. Du reste, le? circonstances de la maladie sont les mêmes dans les deux récits. Il esl certain que la fièvre tierce, la saignée, la purgation, ne donnent guère lieu de croire que le malade fut empoisonné. Chauffepié n’a pas aperçu ou n’a pas voulu apercevoir cette espèce de contradiction. M. de Bréquigny, de l’Académiedes Inscriptions, dans une notice qu’il a publiée sur le journal de Burcard (Extraits des manuscrits de la Bibiioth. du Roi, tom. 1), parait incliner pour l’opinion de Voltaire. On pourrait faire remarquer que le maître des cérémonies, qui ne manque jamais de se mettre en scène toutes les fois qu’il en trouve l’occasion, ne dit point qu’il ait été dan* la chambre du pape pendant sa maladie, ni au moment où il expira. Voici au reste comment il raconte les circonstances qui suivirent cette mort : « Lorsque Alexandre rendit le dernier soupir, il n’y avait dans sa chambre que l’évêque de Rieti, le dataire et quelques palefreniers. Cette chambre fut aussitôt pillée. La face du cadavre devint noire; la langue s’enfla au point qu’elle remplissait la bouche qui resta ouverte. La bière dans laquelle il fallait mettre le corps se trouva trop petite; on l’y enfonça à coups de poing. Les restes du pape, insultés par ses domestiques furent portés dans l’église de St.-Pierre, sans être accompagnés de prêtres ni de torches, et on les plaça en dedans la grille du chœur, pour les dérober aux outrages de la populace.