LIVRE IV. Cl n ncnl ni pour seigneur ni pour ami ; ils useront (le , tous les moyens qui sont en leur pouvoir. Ils n’au-« raient pas voulu attaquer, ni vous ni les vôtres, . avant de vous avoir porté le défi; ce n’est pas leur ii coutume, ni celle de leur pays,d’user de trahison. « Vous avez ouï ce que nous avions à vous dire, c’est « à vous de prendre votre parti. » Les députés, après cette harangue, se retirèrent, montèrent promptement à cheval, traversèrent les Ilots d’un peuple furieux de leur audace, et, lorsqu’ils furent hors des portes, se tinrent fort heureux d’avoir échappé à un si grand péril. Alexis fut extrêmement irrité de cette menace, et dès ce moment ce prince se considéra comme en état de guerre avec ses bienfaiteurs. On croit qu’il fut porté à se commettre avec les Latins par un seigneur de la maison de Ducas, alliée de la famille impériale, nommé Alexis Murtzuphle(à cause de ses sourcils épais), et qui cherchait à fomenter de nouveaux troubles dont il espérait profiter. Les croisés occupaient les faubourgs de Péra et de Galata. Leurs vaisseaux étaient à l’ancre de ce côté du port; la ville et le camp se menaçaient, sans tenter de part ni d’autre aucune attaque sérieuse. Les forces étaient assurément fort inégales; c’était une année réduite à vingt mille hommes, éloignée de son pays, n’attendant aucun secours et mal approvisionnée, qui assiégeait la capitale la plus populeuse du monde connu; mais, dans celte capitale, le gouvernement et le peuple étaient sans énergie; le seul qui eût du courage était ce Murtzuphle, qui méditait une nouvelle usurpation; il en donna de grandes preuves dans une sortie où il fut lâchement abandonné par ses soldats. XXVIII. Une nuit, au milieu de l’hiver, les sentinelles des croisés crièrent : Alerte! Une lueur subite venait d’éclairer tout le golfe; le camp prit les armes ; on vit s’avancer sur la mer, toutes les voiles déployées et poussées par un vent favorable, dix-sept navires en flammes, qui venaient porter l’incendie au milieu de la Hotte des pèlerins. Les Vénitiens se jetèrent dans des barques, allèrent au devant de ces colonnes de feu, et, malgré les traits que leur lançaient les Grecs, ils accrochèrent plusieurs brûlots, et les entraînèrent hors du port à force de rames. Celle manœuvre fut exécutée avec tant d’audace et de diligence, qu’un seul des vaisseaux de la flotte fut atteint par les flammes. XXIX. Découragé par le mauvais succès de cette entreprise, Alexis se laissa déterminer par Murtzuphle à entrer en négociation. 11 réclamait encore le secours des barons contre le peuple de Constantinople, et offrait de leur livrer le château fortifié des Blaquernes.Maiscc conseil dcMurtzuphle était un piège; il divulgua lui-même ce projet pour rendre l’empereur odieux. La multitude furieuse de la lâcheté d’un prince qui voulait livrer la ville une seconde fois, s’assembla en tumulte autour de l’église de Sainte-Sophie, demandant à grands cris qu’on la délivrât d’un vieillard imbécile et d’un traître, et qu’on nommât un nouvel empereur. Le sénateur Nicetas, qui a écrit l’hisloire de ces temps déplorables , eut la sagesse et le courage de représenter, que les Latins étaient aux portes de la ville ; que ce n’était pas le moment de leur fournir un nouveau prétexte et de les irriter, en détrônant un prince qui était leur ouvrage. C’était précisément ce qui faisait haïr Alexis; 011 prodigua à cet empereur les noms d’esclave et de traître; il fallut que le sénat lui désignât sur-le-champ un successeur. Mais cette couronne, que si souvent on brigue au péril de la vie, personne alors n’osait l’accepter. Elle fut successivement offerte à plusieurs sénateurs, dont la prudence sut échapper à un honneur si dangereux, et on finit par proclamer tumultuairement un jeune homme, nommé Nicolas Cannabé, qui, en se laissant faire cette violence, montra moins de courage que de faiblesse. XXX. Les espérances de Murtzuphle étaient trompées; il gagna l’eunuque intendant du trésor, les gardes, courut à l’appartement d’Alexis qu’il réveilla par des cris d’effroi, et, sous prétexte de le sauver, le fit sortir par une porte dérobée; des hommes apostés le saisirent et le jetèrent dans un cachot, où il fut étranglé. Isaac, son père, alors malade, fut tellement frappé de cette révolution qu’il succomba à son saisissement. Murtzuphle, ne tenant aucun compte de l’éleclion qui venait d’étre faite, se fit proclamer par scs partisans, et l’imprudent, qui avait osé accepter l’empire, alla expier dans un cachot un règne de quelques heures. Ces événements se passèrent le 26 janvier 1204 (1204). Ce nouvel usurpateur au moins 11’était pas indigne du rôle de défenseur de son pays. Il suppléa par son activité au peu d’énergie de son peuple, multiplia les périls autour du camp des croisés, fit plusieurs tentatives pour détruire leur flotte, exécuta de nombreuses sorties, se montrant dans tous ces combats une massue de fer à la main. Ces expéditions n'étaient pas heureuses, mais elles fatiguaient une armée qui diminuait tous les jours, et, pendant les trois mois qu’elles durèrent, un meilleur ordre s’établissait dans les finances; la confiscation des biens de tous ceux qui s’étaient enrichis aux dépens de l’État, sous les règnes précédents, fournissait au trésor des ressources qui dispensaient de recourir à de nouveaux impôts. Les murailles de Constantinople étaient réparées, exhaussées; elles se couvraient de machines de guerre; on élevait, sur les tours déjà existantes, des retranchements et d’au-