LIVRE XVII. favorisaient les bâtards du roi Jacques, qui étaient encore dans l’ile avec leur sœur : tous s’accordaient à détester le gouvernement des étrangers, et par conséquent la reine Catherine et son oncle André Cornaro. XIV. A la tête de ces mécontents était l’arche-vèque de Nicosie. Il se trouvait alors ministre auprès du roi de Naplcs; il négocia dans cette cour, présenta son parti comme en état de chasser les Vénitiens du royaume, pour peu qu’il fut secondé, et proposa au roi d’unir ses intérêts à ceux de la faction, en mariant Alphonse, son fils naturel, avec la tille naturelle du roi Jacques, qui était restée en Chypre, et qui n'avait encore que six ans (1475). Ferdinand d’Arragon, dont l’ambition n’avait d’égale que sa haine pour les Vénitiens, se livra avec ardeur à l’espoir de satisfaire à la fois l’une et l’autre. Il autorisa de son nom les sinistres projets de l’archevêque. Celui-ci, de retour eu Chypre, disposa les choses avec une telle habileté, que la conjuration éclata et réussit, sans que le gouvernement de l’ile eut le temps de la prévenir. On avait profité d’un moment où l’escadre vénitienne s’était éloignée. Dans la nuit du 15 novembre 1475, André Cornaro reçut un message de la reine, qui le mandait au palais; c’était un ordre supposé. Il fut assassiné dans le trajet, avec un autre Vénitien nommé Marc lîembo, et le médecin du roi Jacques, accusés l'un et l’autre d’avoir eu part, comme lui, à la mort de ce prince. Pendant ce temps, le palais était investi, et les conjurés se saisissaient du jeune roi et de sa mère. Mais ils ne levaient point encore le masque entièrement. Leur objet, disaient-ils, n’était point de détrôner le jeune roi. Le meurtre de Cornaro n’était que l’effet du ressentiment des soldats, qu’il privait de leur paie; l’unique résultat de cette mort était que la reine^e trouvait délivrée de l'oppression que son oncle exerçait sur elle, et le royaume des rapines de cet étranger également insatiable et prodigue. Ils forcèrent la reine tremblante d’écrire au gouvernement vénitien, pour présenter la révolution sous cctte couleur. Ils s’emparèrent du commandement dans toutes les places, et firent annoncer publiquement le prochain mariage de la fille naturelle du roi Jacques avec Alphonse, en donnant à celui-ci le titre\le prince de Galilée, qui était en Chypre celui de l’héritier présomptif de la couronne. Ils espéraient, par ces assurances, retarder les mesures de vengeance auxquelles il fallait s’attendre de la part de la république; et on se flattait que les Vénitiens seraient prévenus dans file, par les troupes que le roi de Nazies et même le Soudan d'Egypte avaient promis d'envoyer. Le ministre de Venise résidant en Chypre, n’ayant point de forces pour s’opposer aux projets des conjurés, affectait de croire à la sincérité de leurs protestations; mais à la première nouvelle de ces événements, l’amiral Moncenigo quitta sa station sur les côtes de la Morée, sans attendre même les ordres du sénat. Tous les bâtiments de guerre qui croisaient dans les échelles du Levant,eurent ordre de le joindre et de lui amener tout ce qu'il y avait de troupes disponibles à Candie et ailleurs. En arrivant en Chypre, il trouva les rebelles dispersés par la seule apparition de son avant-garde, qui l'avait précédé de quelques jours. Les chefs de la conjuration avaient pris la fuite; il n’eut plus qu’à punir les autres, et à mettre des garnisons vénitiennes dans les principales villes du royaume. Le jeune prince dont la reine était accouchée mourut en 14715. Cette mort ouvrait la carrière aux prétentions des enfants naturels : ils étaient encore dans file. La république les fit enlever et conduire à Venise. Au moyen de cet enlèvement,il n’y eut plusqu'un parti dans l’ile, celui de la reine, ou, pour mieux dire, des Vénitiens; car, héritiers d’une princesse veuve et sans enfants, ils se regardaient déjà comme maîtres du royaume, et en saisissaient toute l’administration. Catherine ne pouvait leur disputer une autorité dont elle leur était redevable. Par une de ces précautions qui caractérisent la prévoyance du gouvernement vénitien, la seigneurie voulut s’assurer de tous les moyens de domination dans file, en y transportant cent familles nobles, et y assignant à chacune un revenu de trois cents ducats sur le trésor du royaume. Mais ce trésor se trouva insuffisant ; les nobles montrèrent peu d’empressement à s’expatrier, et ce projet, quoique arrêté dans le conseil, resta sans exécution , chose presque inouïe dans l’histoire du gouvernement de Venise. XV. Le roi de Naples poursuivait toujours son dessein d’enlever cette importante possession à la répifbliquc. C’était un droit bien équivoque, que celui de son fils Alphonse, qui n’était pas encore marié, mais seulement fiancé avec la fille naturelle du roi Jacques. Tant que le mariage n’était pas conclu, le prince ne pouvait réclamer les droits de sa femme; comment conclure ce mariage avec une fille impubère, qui d’ailleurs était entre les mains des Vénitiens? et dans tous les cas, les droits de la jeune princesse ne pouvaient passer qu’après ceux de ses frères. Pour fonder scs prétentions sur des titres plus réels, Ferdinand imagina de déterminer l’ancienne reine Charlotte à adopter Alphonse. Cette princesse y consentit et transporta tous ses droits au fils na-